Tromelin est un îlot corallien qui se situe à 450 km dans l'est de
Madagascar et 560 km dans le nord de la Réunion. C'est une île absolument
plate, culminant à seulement 7 m de hauteur. D'une surface d'1 km², elle a
une forme ovoïde de 1.700 m de long par 700 m de large. Elle est débordée par
un récif de corail qui en fait le tour sans interruption, sauf dans sa partie
nord-est. La mer y bat constamment avec violence, ce qui rend l'île quasi
inabordable.
Située en
zone tropicale, Tromelin est sous l'influence des alizés de sud-est et se
trouve sur la trajectoire de cyclones dévastateurs.
HISTOIRE
Tromelin a
été aperçue tardivement pour la première fois en 1722 par un navire de la
Compagnie des Indes, la "Diane", que son commandant, Briand de la
Feuillée, a baptisé Île des Sables.
Sans
habitation ni végétation dense, ce bout de terre sans relief se jouant de la
ligne d’horizon était parfois évoqué sous le nom "Le Danger" à cause
de sa position mal connue. Les coordonnées de l'île ont varié notablement en
fonction de l'imprécision des instruments de mesure et des documents
cartographiques approximatifs de l'époque.
Peu visible
sur l'eau, l'île se fait oublier des navigateurs jusqu'en 1761 où la flûte
"L'Utile" y fait naufrage, faisant près de 90 morts ou disparus
alors que 80 esclaves malgaches sont abandonnés sur l'île par l'équipage
survivant. Quinze ans plus tard en 1776, le chevalier de Tromelin, à bord de
"La Dauphine", récupère 8 malgaches rescapés du naufrage. Le
chevalier donnera son nom à l'île.
D'abord
dépendante de l'île de France (Maurice), Tromelin a été rattachée à l’île
Bourbon (la Réunion) lors du Traité de Paris en 1814 signé à la suite du
conflit avec l'Angleterre.
Tromelin
sera encore le théâtre de plusieurs naufrages au cours du XIXème
siècle.
En 1954,
une station météo et une piste d'aviation sommaire sont installées par les
services météorologiques français qui ont occupé les lieux en permanence
jusqu'aux années 2010, où la station a été automatisée.
Tromelin
est rattachée au district des Îles Eparses, placé sous l'autorité des
T.A.A.F. depuis 2005. (Les autres Eparses - Glorieuse, Juan de Nova, Bassas de India et Europa - sont situées dans le Canal du
Mozambique, entre Madagascar et le continent africain).
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Mercredi 19 Avril 2017 - 29ème
Jour
Beaucoup de passagers se sont levés avant l'aube dans l'espoir
d'être les premiers à apercevoir l'île de Tromelin sortir de l'horizon. Malgré
l'heure très matinale, la température est incroyablement douce. Le lever du
jour est toujours un moment important de la vie à bord, et ce début de matinée
n'échappe pas à la règle.
06h40, un mince trait sombre se superpose à l'horizon, l'île
émerge timidement de la mer. A mesure que le Marion Dufresne s'approche, les
contours de Tromelin se précisent : une longue bande de terre posée sur l'eau et
sur la droite, juste une construction blanche entourée de petits cocotiers. Ça
manque vraiment de relief !
Cela fait l'effet d'une île perdue, à peine visible, sortie on ne sait comment du fond des océans. On comprend mieux pourquoi tant de navires y ont fait naufrage. S'il n'y avait cette construction blanche, on pourrait croire l'île complètement déserte.
L'île
Tromelin vue du nord-est
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Autrefois, Tromelin était gérée par des météorologistes qui
étaient relevés par avion militaire tous les quarante-cinq jours. La
station a été automatisée en 1993 et les météos ont définitivement quitté l’île
en 2011. Il
ne reste maintenant que trois taafiens qui entretiennent, nettoient et
surveillent la nature et les bâtiments. A partir de 2017, la relève est
effectuée par le Marion Dufresne tous les quatre mois. Quatre mois sur une île
déserte, ça doit paraitre être long !
Sur le pont supérieur, une jeune femme est accoudée au bastingage
et semble s'imprégner du paysage. Elle a embarqué hier matin à la Réunion et
doit remplacer l'un des taafiens qui termine sa mission. Songeuse et perplexe,
elle semble dubitative face à autant de désolation. S'attendait-elle à vivre
dans un tel lieu lorsqu'elle s'est portée volontaire pour être infirmière à
Tromelin ?
Borne
d'accueil de la base à proximité de la Drop Zone
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08h00, le Marion est positionné à bonne distance dans le nord-est
de l'île. Il n'y a pas un souffle d'air et la mer est totalement plate.
Pourtant, depuis les coursives, on voit bien les rouleaux qui déferlent
violemment sur le récif. Poussée par la houle, la mer bat la côte sans répit.
Tromelin ne se laisse pas aborder facilement !
09h20, en quelques tours de rotor, l'hélicoptère nous dépose sur
la Drop Zone de l'île. D'emblée c'est un soleil mordant et une forte chaleur
qui nous accablent. La lumière et la température sont un véritable choc. Brutal
! Quelques petits cocotiers nous offrent une ombre parcimonieuse pour rejoindre
l'ex-station météo qui est devenue la base de Tromelin. Malgré le fait qu'ils
aient été introduits, ces cocotiers sont le seul élément de confort et de
protection à l'extérieur des bâtiments, sans eux la vie serait encore plus dure
ici !
Le bâtiment
de la base de Tromelin
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Guidés par Luc, de la Réserve Naturelle des T.A.A.F., nous
entamons une balade par le seul sentier de l'île qui en fasse le tour. C'est un
petit cheminement de sable et de fragments de corail qui serpente à peu de
distance de la mer à travers les bosquets de veloutiers. Ces arbustes servent
de nichoirs ou de perchoirs à une importante colonie de fous à pieds rouges.
Les fous sont des oiseaux pélagiques qui pêchent le poisson à de
grandes profondeurs. Des oiseaux curieux au demeurant, puisqu'en dehors de la
couleur inhabituelle de leurs pattes et de leurs palmes, ils possèdent
également un joli bec bleu clair du plus bel effet. Et autre particularité
propre à cette espèce, ces oiseaux peuvent avoir deux plumages, indifféremment
blanc ou brun.
Fou à pieds
rouges juché sur les veloutiers
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Fous à pieds
rouges - Deux aspects du même oiseau
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Fous à pieds
rouges. Juvénile à gauche
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Peu habitués à la présence humaine, ils ne semblent guère
farouches et se laissent approcher à peu de distance. Bien que nous soyons en
automne, beaucoup de ces oiseaux sont encore posés sur les nids, occupés à
protéger leurs jeunes. La période de ponte ne semble pas obéir aux règles habituelles.
Fou juvénile
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Sterne
blanche (Gygis alba)
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Progressivement, la maigre végétation de l'île devient moins haute
et moins dense. Les fous laissent alors la place aux sternes blanches, de jolis
oiseaux plus volumineux mais plus pacifiques que les autres variétés de
sternes. Les sternes blanches ont un vol vif et
élégant. Elles nous laissent traverser leur territoire sans manifester le
moindre cri ni la moindre agressivité, contrairement à leurs cousines arctiques,
Par les
chemins de Tromelin sous un soleil cuisant
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Plus aucune végétation ne pousse dans le sud de l'île. Pas
d'ombre. A travers les blocs de corail, nous suivons le petit sentier de sable
blanc, éblouissant sous le soleil de plomb. Pas un souffle de vent, les alizés
sont absents. On rôtirait sur place ! Et nous n'en sommes pas encore à la
moitié du parcours…
Extrémité sud de la piste d'atterrissage |
Une piste d'atterrissage a été tracée dans l'axe de l'île dès la
création de la station météorologique. Sommairement aménagée en cailloux et
dotée d'un balisage réduit, elle était utilisée par les avions cargos Transall
de l'Armée de l'Air pour approvisionner Tromelin. Mais depuis que l'île a été
dératisée par la ResNat, des oiseaux qui avaient disparu à cause de la
prédation des rats ont progressivement repeuplé l'île au point que leur nombre
et leurs évolutions à proximité de la piste devenaient dangereux lors des
atterrissages d'avions. La Réserve Naturelle a trop bien fait son travail, il
n'y aura sans doute plus d'avions à Tromelin avant longtemps et les résidents
devront patienter quatre mois jusqu'à l'arrivée du prochain bateau…
Noddi brun
nichant à même le sol près de la piste d'atterrissage
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L'ancre de
"L'Utile" plantée dans le récif
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A quelques encablures du rivage, émerge encore l'ancre du vaisseau
"l'Utile" qui a fait naufrage ici en 1761. Depuis plus de 250 ans, l'ancre
résiste toujours aux vagues qui se brisent en rouleaux impressionnants sur le
récif de corail qui s'étend jusqu'à l'étroite plage de sable blanc.
Vision
paradisiaque trompeuse depuis la base de Tromelin
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Derrière la base, au nord-est de l'île, le récif a laissé la place
à une longue pointe de sable. C'est l'endroit où viennent pondre la nuit de
nombreuses tortues marines. On voit bien les nombreuses traces parallèles
qu'elles ont laissées dans le sable avant de creuser de profondes excavations
pour y déposer leurs œufs. La plage est truffée de trous énormes, un vrai champ
de bataille.
Après leur éclosion, on sait que les chances de survie des petites
tortues sont quasi nulles, dévorées par des hordes de bernard-l'hermite énormes
ou happées par les frégates de passage, quand elles ne sont pas cuites par le
soleil si elles naissent en tout début de matinée. Nous verrons ainsi des
dizaines de leurs cadavres sur le sable. Ainsi va la nature !
La pointe sableuse
au nord-est de l'île, lieu de ponte des tortues marines
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15h30, l'hélico vient nous rechercher et nous ramener à bord du
Marion. Le bateau appareille à 17h00 en donnant un long coup de sirène avant de
faire route vers la Réunion. La mer est toujours aussi calme, rapidement
Tromelin s'efface dans le sillage et se dilue dans l'horizon. En quelques
minutes, elle est redevenue une île fantôme au milieu de nulle part.
Dernier
regard sur l'île de Tromelin
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Tromelin est la dernière escale avant notre retour à la Réunion
après-demain matin. Cette escale sent un peu trop la fin d'un voyage
exceptionnel dont tous les passagers que nous sommes ont apprécié le
déroulement et l'organisation sans faille. Cette réussite, nous avons bien
conscience que nous la devons à tous les intervenants du bord, équipage,
membres des T.A.A.F. et de la Réserve Naturelle qui, en plus de leurs
impératifs professionnels, ont tout mis en œuvre pour que cette rotation soit un succès.
Alors, pour témoigner de leur satisfaction, les touristes ont voulu
clôturer le voyage en beauté et ont donc convié ce soir tout le personnel et
les autres passagers autour d'un verre au bar du Forum. L'un d'entre nous, un
peu poète, un peu musicien, a réuni une chorale (sauf moi qui chante très mal)
et a même écrit une chansonnette paraphrasant "Le Poinçonneur des
Lilas" de Serge Gainsbourg, qu'il a intitulé "Le Tamponneur du
Marion" dont le texte réunit avec humour tous les moments vécus sur le
Marion Dufresnne, les lieux visités ou les expressions utilisées dans les T.A.A.F.
Ne participant pas à la chorale, j'ai vite compris qu'il me
reviendrait le devoir d'écrire et de prononcer le discours d'usage devant tout
l'équipage et les passagers réunis au Forum.
Les touristes ont ainsi surpris les habitués de la ligne qui ont particulièrement apprécié la démarche, et l'ambiance de la soirée s'en est ressentie… Il s'est dit que cela n'était jamais arrivé auparavant.
LES ESCLAVES OUBLIES DE L'ILE TROMELIN
Partie de
Bayonne en 1759, la flûte "L'Utile" doit rejoindre l'île de France
(Maurice) après avoir fait une escale à Madagascar pour se ravitailler en
vivres. Au cours de cette escale, le capitaine Lafargue achète à bon prix 160
malgaches qu'il fait embarquer clandestinement sur le navire. Il compte les revendre
comme esclaves à l'ile Rodrigue, espérant faire au passage un substantiel
bénéfice…
Pour cela,
Lafargue modifie la route initialement prévue. Les cartes sont peu précises
et le 31 juillet 1761, "L'Utile" talonne de nuit sur les brisants d'une
île invisible, au milieu des déferlantes…
Piégés à
fond de cale, quelques esclaves ne sont libérés de leurs entraves que par la
destruction du bateau. La moitié se noie ainsi que dix-huit marins.
Les
rescapés du naufrage trouveront refuge sur l'île. En récupérant du matériel
resté à bord de "L'Utile", les marins réussiront à construire une
embarcation et à regagner Madagascar en promettant aux malgaches de revenir
les chercher. Ce qui, bien sûr, ne se fera pas…
Ainsi sont
abandonnés ceux qui deviendront plus tard "Les esclaves naufragés de
l'île Tromelin". Sur l'île, la vie s'organise en édifiant des petites
maisons en corail capables de résister aux cyclones, en creusant des puits
pour trouver de l'eau saumâtre, en retapant cent fois les mêmes objets de la
vie courante récupérés sur l'épave… Les esclaves malgaches ont ainsi organisé
une forme de société qui leur a permis de survivre plusieurs années.
En 1761,
après quinze années d'oubli, seules sept femmes et un enfant vivaient encore
quand le chevalier de Tromelin a réussi à rejoindre l'île qui porte
maintenant son nom et à embarquer les rescapés vers l'île de France (Maurice)
où ils furent baptisés et déclarés libres.
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