Mardi 27 Novembre 2012 - 2ème
jour de traversée
Depuis hier soir 22 h 00, nous naviguons au-dessus
des grands fonds. La haute marche entre les abysses atlantiques et le plateau
continental du Golfe de Gascogne n'est pas sans influence sur l'état de la mer
en cas de gros temps. La longue houle et les vagues escarpées perdent un peu de
leur rudesse. S'il roule encore et est bien secoué, le bateau ne tape plus dans
les vagues les plus hargneuses.
A minuit, nous avons passé l'heure du bord en heure
T.U., c'est-à-dire reculé les montres d'une heure. Cette opération aura lieu
cinq fois durant la traversée pour compenser le décalage horaire. Deux gros
avantages : une heure de grasse matinée supplémentaire et une arrivée aux
Antilles sans perturbation de l'horloge interne. Avantages que n'offre pas le voyage
en avion.
A 03 h 00, nous avons croisé le trafic allant du
cap Finisterre (Nord-Ouest de l'Espagne) à Ouessant. Tous les navires venant de Méditerranée,
d'Afrique de l'Ouest, d'Amérique du Sud et qui remontent vers les ports du
nord, et inversement, suivent cette route. J'avoue n'avoir pas eu le courage de
me lever pour aider le lieutenant et le timonier de quart à faire la veille au
milieu des autres cargos…
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Cap à l'Ouest en début dematinée, à tribord |
08 h 00, longitude du cap Finisterre. Bof ! Ciel
chargé et bas, vent toujours fort, visibilité douteuse. La mer est hérissée de
crêtes blanches jusqu'au bout de l'horizon. Pas suffisant pour remonter le
moral des passagers qui attendent impatiemment l'embellie.
L'après-midi, les grains se succèdent en rangs
serrés. Le Fort Sainte-Marie, droit sur sa trajectoire, ne fait rien pour les
éviter. En hauteur, on les voit bien arriver. Au loin, l'horizon se voile, la
mer s'aplatit sous la pluie et change de couleur, la pluie bat violemment sur
les baies vitrées de la passerelle. Et le calme revient derrière le grain, une
brève éclaircie nous offre un timide arc-en-ciel, quelques minutes de
tranquillité et le grain suivant arrive déjà. Du fait de la vitesse du bateau, la
cadence à laquelle nous arrivent ces grains me surprend, la rapidité à laquelle
on les traverse, aussi.
Début de soirée, le vent et la mer semblent vouloir
s'apaiser et prendre une direction qui nous soit plus favorable. Le baromètre
amorce une timide remontée
En cours de journée, je monte de temps en temps à
la passerelle voir l'évolution des choses, jeter un œil sur la table à carte où
les points GPS sont méthodiquement reportés toutes les heures. La table à
cartes a toujours fait partie pour moi, du voyage en mer et du départ vers
ailleurs.
Pourtant bien plus précis, les GPS, radars et
cartes numériques, devenus indispensables, n'ont pas ce pouvoir de faire rêver.
La carte papier synthétise d'un seul coup d'œil la navigation en cours. Elle
concrétise le rythme d'une traversée en redonnant aussi la vraie dimension du monde et des océans. Si j'aime regarder une
carte marine, je ne jette qu'un œil informatif sur un écran GPS, un radar ou une carte
numérique, sans être capable de m'y attarder.
J'aime bien passer un moment à la passerelle après
le dîner. Il fait nuit, j'y retrouve mon ami, le lieutenant roumain. Un
personnage cultivé et intéressant, parlant parfaitement le français, jovial et
avenant, il contraste avec tous les autres marins ou officiers roumains du bord
qui semblent porter avec tristesse, fatalité et résignation tout le poids de leur
Histoire, sans un mot ni un sourire.
Il a 25 ans de marine marchande derrière lui.
Passionné par son métier, il prend visiblement du plaisir à partager ce qu'il
sait sur le bateau, la navigation, les instruments, l'organisation du bord ou
ses responsabilités. Mon cursus nautique l'intrigue car la voile n'est pas dans
la culture roumaine et il ne connait pas. Souvent, c'est lui qui revient vers
moi et me pose des questions, en faisant des allers et retours entre voiliers
et cargos.