Le Soléal
poursuit sa route pour la journée afin de se recaler sur le timing initial en laissant
à tribord les côtes de la grande île Victoria. C'est une île curieusement partagée
depuis 1999 entre le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest du Canada.
06h00, le bateau
est par le travers de l'île Jenny Lind. Drôle de nom pour une île en Arctique
qui ne soit pas celui d'un explorateur, ni d'une personnalité britannique !
Jenny Lind était une cantatrice suédoise de la première moitié du XIXème
siècle. Qui a baptisé cette île ainsi et pourquoi ?
Cette île marque
l'entrée du Soléal dans le Golfe de la Reine Maud. Un joli nom pour un golfe ! Quoique
née britannique, Maud devint reine de Norvège en 1905. On peut donc supposer qu'Amundsen,
norvégien lui aussi et premier vainqueur du Passage du Nord-Ouest en 1906,
a baptisé ce golfe du nom de sa reine.
06h30, comme
presque tous les matins je monte à la passerelle. J'y reste en général jusqu'à
l'heure du petit-déjeuner, sans obligatoirement discuter avec le lieutenant ou
l'élève qui terminent leur quart. J'y viens surtout pour regarder. C'est
l'heure où tout est encore calme, où l'on s'imprègne du paysage, où l'on prend
la mesure du temps. J'aime bien.
Un peu de soleil
ce matin, mais déjà on comprend que les nuages vont gagner la partie pour le
reste de la journée. Il n'y a pas eu de houle depuis longtemps, la mer est
complètement plate, un vrai miroir. Pas de vent non plus. Le baromètre est calé
sur 1028 millibars depuis plusieurs jours, il doit y avoir un puissant anticyclone
qui se déplace avec nous depuis le début de la croisière. Pour combien de temps
encore ?
Nous sommes à la
jonction de l'Arctique de l'Est et de l'Ouest, une zone de transition
météorologique et géographique où les côtes que nous pouvons apercevoir
deviennent rectilignes, basses sur l'eau, sans reliefs. Pas ou très peu d'animaux
depuis deux jours, ni oiseaux. L'automne est arrivé, les
oiseaux sont partis vers le sud.
Pas de
débarquement avant ce soir. Donc, ce matin, c'est grasse mat' pour tous les passagers.
Cela traine un peu et les coursives s'animent lentement. Chacun arrive à son
rythme pour le petit-déjeuner.
09h30,
conférence au théâtre "Amundsen, le premier homme à…" menée par
Ombline, un petit gabarit, mais pleine de dynamisme autant sur l'estrade du théâtre
que sur le terrain. Sportive, passionnée depuis toujours par les régions
polaires qu'elle a parcourues en kayak, elle en connait toute l'histoire, le
milieu naturel, la faune ou la géopolitique. Ce matin, elle nous emmène sur les
traces de Roald Amundsen, autant en Arctique qu'au Pôle Sud qu'il avait été le
premier à rejoindre en décembre 1911. (Nous
avions fêté le centenaire de cet évènement à bord du Fram en Antarctique).
Tous les
naturalistes ou presque sont bilingues, mais les conférences sont données soit
en français, soit en anglais, ce qui les rend faciles et intéressantes à
écouter car leur rythme n'est pas haché par la traduction.
Il y a douze
naturalistes embarqués pour cette croisière pour nous parler de géographie,
histoire, botanique, faune, géologie, etc… En dehors des conférences données
bien au chaud au théâtre, ils sont très sollicités à l'extérieur du bateau.
Lors des débarquements à terre, ils repèrent le terrain et balisent les
itinéraires avant l'arrivée des passagers. Ensuite, ils piétinent dans le vent
ou le froid aux endroits stratégiques pour commenter ce qu'il faut voir ou
comprendre (et sur cette croisière, ils sont également de faction et armés pour
nous protéger des méchants ours affamés…).
Lors des balades
en Zodiac™, ce sont les naturalistes qui pilotent eux-mêmes et qui donnent les
commentaires en même temps. Pas forcément des vacances pour eux ! Mais dans le
cas des débarquements à terre, ce sont les élèves-officiers qui font la navette
avec les canots.
En mer, ces Zodiac™
sont stockés sur le pont supérieur et grutés à chaque escale jusqu'à une porte
latérale du pont 2 où le pilote monte à bord avant de toucher l'eau et
décrocher le palan. Vue de loin, la manip parait sportive, mais c'est bien au
point et elle s'effectue rapidement sous le contrôle du second capitaine. Il y a même
deux caméras vidéo pour surveiller tout cela depuis la passerelle.
![]() |
La "marina" à l'arrière du pont 2 |
L'embarquement des
passagers sur les Zodiac™ se fait sur la plateforme arrière du bateau, la
"marina". Equipés de leur gilet gonflable, ils montent dans les
canots avec l'aide des matelots et sous l'œil vigilant du second capitaine.
Sécurité d'abord !
14h00, le Soléal
longe la péninsule de Kent, basse sur l'eau. Coup de barre à gauche pour suivre
le détroit de Dease qui sépare l'île Victoria du continent nord-américain.
C'était trop beau, lentement les nuages s'assombrissent et le vent monte
doucement, créant du clapot dans le détroit.
Poste de commande du Soléal |
Répétiteur du gyrocompas sur l'aileron de passerelle (vue aérienne) |
Répétiteur des gyrocompas et du compas magnétique |
Depuis
longtemps, cargos et paquebots utilisent des gyrocompas (compas gyroscopiques),
appareils électronico-mécaniques complexes, pour indiquer le nord vrai en
permanence et le cap réel du bateau. Mais ces compas peuvent être affectés
d'une légère erreur dans le cas de navigation dans les hautes latitudes (ce qui
semble être le cas sur la photo… 1.3 degré d'écart entre les deux). Ils
doivent être recalibrés en faisant régulièrement un relevé sur un amer.
Le compas
magnétique indique le nord… magnétique qui se déplace en permanence au gré des variations
dans le temps et dans l'espace du champ magnétique de la Terre. Les indications du compas magnétique
doivent être corrigées par les navigateurs pour obtenir le nord vrai (le nord géographique).
De plus, ses indications sont gravement perturbées à l'approche des pôles. Pour
preuve : 31.8 degrés d'écart entre les deux types d'appareils !
18h00, avant de
pénétrer dans la baie de Byron sur l'île Victoria, le Soléal contourne une
large nappe de banquise. Une balade en Zodiac™ avait été envisagée vers le fond
de cette baie. Le vent est monté,
il y a un peu de mer. Les naturalistes partent en reconnaissance à bord de deux
Zodiac™ pour explorer la baie. On comprend vite qu'il est impossible de débarquer sur la plage à cause des
rouleaux qui y déferlent.
Gros désappointement
du Commandant qui aurait bien voulu que ses passagers prennent l'air et il insiste
auprès des naturalistes pour qu'ils explorent une autre partie de la plage mieux
abritée. Mais à l'évidence, il n'y a rien de praticable. Rentrés bredouilles, les
naturalistes se sont bien fait rincer… Demi-tour, le Soléal poursuit sa
route.
21h00, mouillage
devant l'embouchure d'une petite rivière à proximité du cap Dunn, toujours sur
l'île Victoria. Là, nous sommes vraiment dans l'exploration pure car même le
chef d'expé ne connait pas les lieux. Nous sommes plus au sud, la saison
s'avance, la pénombre tombe vite. Il fait presque nuit lorsque les naturalistes
partent en reconnaissance, équipés de lampes frontales.
22h30, retour de
l'équipe. Il parait que c'est beau. Même la nuit ! Alors, on reste ! Le Commandant fait
rallonger la chaîne d'ancre. Demain sera un autre jour !
Pont 3 à l'arrière du Soléal |
C'est une chance d'avoir eu tous ces naturalistes avec vous !
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