Debout avant
l'aube. A 04h50, le Soléal quitte le mouillage de Fort Ross pour emprunter
aussitôt le détroit de Bellot, un étroit chenal d'environ 18 milles de longueur
(34 km), qui sépare l'île Somerset au nord et la péninsule de Boothia au sud.
Cette presqu'île est l'extrémité la plus septentrionale du continent américain
à 72° N.
Ce passage n'a
été découvert qu'en 1852 par le capitaine W. Kennedy, qui l'a baptisé du nom du
jeune lieutenant de marine français qui l'accompagnait dans la recherche de John
Franklin. Bellot aura ainsi eu de son vivant, l'honneur d'avoir un détroit à
son nom (il disparaitra un an plus tard !).
Navigation dans le détroit de Bellot |
Le détroit est
bordé de collines bosselées très colorées où l'ocre domine. Au lever du soleil,
certaines de ces roches se parent véritablement d'or et étincellent. Curieux !
Le détroit est
le siège de forts courants dans les passages les plus resserrés, parfois moins de 700 m
de large. Il se produit alors de violents tourbillons qui arrivent à modifier
un court instant le cap du bateau, c'est dire leur puissance ! De nombreux
oiseaux nous accompagnent, la plupart pêchent dans les remous, d'autres
s'enfuient devant le bateau, c'est la première fois que nous en observons une
telle concentration.
Le Soléal subit
un courant favorable de 7 nœuds (13 km/h), augmentant encore l'impression de
vitesse entre les berges rapprochées du chenal. Ainsi, dans ce chenal, le
courant contribue pour moitié à la vitesse du bateau qui reste stable à 13/15
nœuds. Même si le tracé est quasi rectiligne, la vigilance sans faille règne à
la passerelle. Tout le staff est présent, attentif aux cadrans, aux écrans
radars, à la carte ou derrière les jumelles. Le paysage défile vite et en une
heure trente, le Soléal parvient à l'extrémité du détroit de Bellot et débouche
sur le détroit de Franklin.
Sortie du détroit de Bellot |
06h30, vent nul
et mer absolument plate. Dans le petit matin la mer et le ciel se confondent
dans le même bleu. Dans cette région, les débuts de journée sont vraiment
inédits ! Cap à l'ouest, le Soléal traverse confortablement le détroit de
Franklin vers sa prochaine escale, la baie de Conningham sur l'île du Prince de
Galles, où le bateau jette l'ancre.
Il est prévu un
tour en Zodiac™ vers une lagune où des bélougas peuvent se rassembler. Malgré
le réveil très matinal, il est trop tard pour franchir le seuil qui ferme cette
lagune alors que la marée descend.
Le débarquement
de notre groupe est prévu vers midi, donc nous vivons une matinée plutôt
tranquille mise à profit pour la mise à jour des notes, le visionnage des
vidéos ou bien la discussion avec d'autres passagers autour d'un café. Parce
qu'il était délaissé en début de croisière, Nelly a pris en main la réalisation
d'un grand puzzle assez ardu, représentant une œuvre du peintre autrichien Gustave Klimt. Au fur et à
mesure de l'avancée du puzzle, Nelly a réuni autour d'elle un petit groupe de
mordu(e)s qui selon leur envie viennent ajouter leur pièce à l'édifice… Tous en
viendront à bout bien avant la fin du voyage.
Battue à l'ours ? Non ! Face au danger aucun canot ne doit rester isolé |
Baie de Conningham, gare à l'ours ! |
Tranquillement, ils
se déplacent vers une étroite langue de terre qui descend en pente douce vers
la baie… et vers nous qui ne sommes pas très éloignés de la berge ! Petit
moment de fébrilité parmi les naturalistes qui sont aux commandes des Zodiac™ !
Les ours vont-ils se mettre à l'eau et nous rendre visite ! Pendant quelques
secondes, on a pu le craindre ! En chemin, ils ont été distraits par quelques
restes de viande à arracher d'une carcasse. Ils n'ont plus pensé à nous, les
photographes ont ressorti les appareils !
13h30, retour à
bord, et déjeuner au buffet du pont 6. Le safari arctique, ça donne faim !
14h00,
appareillage et cap vers le nord en suivant le détroit de Peel avant de trouver
la banquise demain matin.
L'après-midi
aurait pu se dérouler calmement, mais en longeant la côte orientale de l'île du
Prince de Galles, les naturalistes ont repéré un groupe de bélougas, bien
vivants cette fois-ci, en train de remonter vers le nord en suivant le rivage
de très près. Même en se déroutant, leur observation est difficile car trop
lointaine et qui plus est en contre-jour. De temps à autre, un dos blanc
émerge, crée des remous et c'est tout. Les ours, eux ont bien repéré les
bélougas. Il y en a un qui suit le groupe depuis la rive pourtant accidentée.
Un autre ours n'hésite pas à couper la route du Soléal, juste devant l'étrave,
pour rejoindre et vraisemblablement poursuivre les bélougas. Nous n'avons pas
su la suite.
Ce soir, nous
dînons ainsi que deux autres couples au restaurant du pont 2 avec deux
naturalistes. A notre table, il y a donc Jean-Pierre S., québécois spécialiste
des cétacés et autres animaux polaires. Un personnage au verbe haut et
intarissable dès qu'il s'agit de ses animaux préférés. Il y a également Nicolas
T., tout en discrétion, plongeur et photographe en eaux glacées. Tous ces naturalistes
sont des passionnés de leur sujet et aiment en parler autour de la table.
Coup de froid
durant le repas ! Le Commandant nous informe par la radio du bord que le
passage à travers la banquise vers laquelle nous nous dirigeons n'est plus
possible. La situation des glaces a évolué défavorablement depuis hier. La
route par la branche nord du Passage n'est plus praticable pour le Soléal…
Avoir voulu, avoir pas pu ! Demi-tour immédiat ! Déception !
Il faut
comprendre que la banquise est une "masse fluide" soumise aux vents,
aux courants qui se conjuguent ou s'opposent pour rassembler ou fractionner la
glace. Ce qui était vrai hier ne le sera plus demain. L'option était jouable
hier, elle ne le sera plus demain.
Et si le
Commandant avait envisagé cette option c'est que Raymond, notre pilote des
glaces savait qu'elle était envisageable à la lecture des cartes régulièrement
diffusées par le Service Canadien des Glaces (SCG). Lequel service était au
courant de l'option choisie hier par le Soléal et qu'il ne s'y était pas
opposé. La nature en a décidé autrement, et ici, il vaut mieux faire avec que
contre !
La lecture de la
carte des glaces de ce jour mentionne bien une concentration de glace entre 90
et 100% sur une bande entre les îles Bathurst et Prince de Galles. Malgré sa
classification, le Soléal n'est pas en mesure de briser seul cette glace. Et le
brise-glace canadien le plus proche est à quatre jours de mer. Donc demi-tour
vers des eaux que nous savons libres !
![]() |
Extrait d'une carte des glaces du SCG (éditée le 09/10/2015). Le gros trait bleu sur la gauche indique l'endroit où s'était accumulée la banquise le 03 Septembre 2015 |
Les cartes des
glaces, il faut être né canadien pour comprendre : il y a un code de couleur
qui indique l'étendue des glaces, de blanc = eau libre à rouge = 90 à 100% de
surface couverte. Jusque là, c'est simple ; c'est après que cela se complique.
Chacune de ces zones de couleur est subdivisée et affectée d'une lettre qui
renvoie à un "code de l'œuf" (c'est ainsi que cela s'appelle) sur le coté droit de la
carte. Lequel
"code de l'œuf" est subdivisé en lignes et en colonnes qui indiquent entre
autre l'épaisseur, la densité, la nature, l'âge de la glace, etc….
Raymond notre
pilote des glaces québécois, lui, connait tout cela par cœur ; moi, j'avoue ne pas avoir
tout compris ! Raymond, rien qu'au bruit, est capable de donner l'âge d'un bloc
de glace lorsqu'il heurte l'étrave. Klonnggk ! Trop fort !
Demain sera donc
une grande journée de mer. Alors, détente ce soir au théâtre pour écouter un
pianiste ukrainien et une violoniste russe que la musique a réunis pour
interpréter de jolies mélodies.
21h30 à la
passerelle, il fait déjà nuit. Le Soléal navigue tous projecteurs allumés pour
localiser d'éventuels growlers qui auraient échappé à la sagacité des radars…
Aparté :
Se repérer dans l'extrême
nord canadien, c'est compliqué ! La géographie n'y est pas facile car les
terres sont morcelées à l'infini, séparées par une multitude de chenaux, de
passages et de détroits qui s'imbriquent les uns dans les autres.
Comme les nomades Inuits
n'ont sûrement pas pris le temps de baptiser tous ces territoires immenses et
vierges, ce sont les aventuriers et les explorateurs qui se sont chargés de
les nommer au fur et à mesure de leurs découvertes.
Et là, c'est à la fois
très simple et très compliqué.
Très simple, parce que
tous les lieux portent soit des noms issus de généreux mécènes qui
finançaient les expéditions, soit des noms d'explorateurs qui se cooptaient
entre eux.
Très compliqué, car si
l'on n'est pas abonné de longue date à "Point de Vue - Images du Monde",
il est absolument impossible de s'y retrouver entre tous les rois, les
reines, les princes et autres associés de la famille royale britannique… qui ont donné leurs noms au moindre îlot de cette vaste zone.
Pour les explorateurs, il
faut étudier toute l'histoire de la région.
Ca se complique encore davantage
quand on sait que plusieurs lieux géographiques différents et éloignés
peuvent porter le nom d'un même individu. Pour ne parler que du malheureux
Franklin, son nom est associé à l'ancien district qu'était le Nord-Canada
avant sa partition, mais aussi à un détroit au Nunavut, à une baie dans les
Territoires du Nord-Ouest, à un cap que je ne sais plus localiser (à
l'aide !), etc… Et il y a aussi une île Lady Franklin et un cap Lady
Franklin sur l'île Bathurst, en l'honneur de son épouse…
Et comme le Nord Canada
c'est grand, on peut multiplier les exemples…
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Encore une super journée !!
RépondreSupprimerDommage que la couverture nuageuse cache pratiquement la banquise le 4/09 mais la veille, le ciel est dégagé http://www.arctic.io/explorer/8/2015-09-03/7-N73.54467-W94.37388 tu peux... naviguer dans le calendrier
Un safari arctique , c'est pas donné à tout le monde !!
RépondreSupprimerImpressionnant cette maman ours avec ses 2 petits !
Magnifique journée en effet, malgré la déception du soir, mais comme on nous a dit sur le Fram, dans ce genre d'expéditions, il faut être flexible! (pas trop difficile d'être flexible car souvent les plans B sont au moins aussi riches en émotion que les plans A... Je m'en vais donc lire la suite!).
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