A la
fin du Moyen-Âge, les Européens découvrent grâce aux récits légendaires de
Marco Polo tous les mystères de l'Asie, mais surtout de nouvelles richesses
inestimables, thé, porcelaines, soieries, pierres précieuses et aussi des épices
exotiques rares, qui valent leur pesant d’or dans cette première mondialisation
maîtrisée alors par les marchands vénitiens.
Mais après
la chute de Byzance en 1453, le commerce vers l'Asie se complique. Les Ottomans
contrôlent désormais les voies terrestres traversant le Moyen-Orient, et les Vénitiens
qui sont les principaux relais en Méditerranée des ressources asiatiques ont de
plus en plus de mal à acheminer leurs marchandises.
Durant
la Renaissance, les progrès de la navigation et l’essor économique de l’Europe
font que les marchands vont vouloir se passer de ces intermédiaires obligés. Et
à ce jeu, ce sont les Portugais et les Espagnols qui prennent le plus d'avance
en cherchant de nouvelles routes maritimes. L'objectif économique (derrière
lequel se cache aussi l'évangélisation de nouveaux territoires), va être favorisé
grâce à des inventions scientifiques et techniques (boussole, portulans,
caravelles), qui facilitent les navigations lointaines.
En
explorant les côtes d’Afrique, puis en découvrant et en conquérant l’Amérique
du Sud, Portugais et Espagnols vont verrouiller tous les itinéraires vers
"les Indes" (l'Asie). Les Portugais, grâce à Vasco de Gama,
contrôlent la route de l’est par le cap de Bonne-Espérance ; les Espagnols
monopolisent celle de l’ouest depuis les découvertes de Christophe Colomb vers
les Amériques.
Puisque
depuis peu la terre était redevenue ronde, il ne restait donc aux autres pays
européens engagés dans le commerce lointain, qu’à rechercher d'hypothétiques
routes vers le nord pour tenter de rejoindre l'Asie. Les Britanniques qui
avaient accumulé beaucoup de retard dans l'exploration maritime étaient les
plus motivés pour trouver une route plus courte vers l'Orient, et espérer prendre
de vitesse Portugais et Espagnols. La recherche d'une route maritime,
économiquement viable, entre l'Europe et l'Asie est devenue l'obsession des
marchands et explorateurs anglais pendant plus de 300 ans. Cette quête
porte un nom : Le Passage du Nord-Ouest.
A la recherche
du Passage
Sous la
protection d'Henri VIII d'Angleterre, John Cabot s'élance en 1497 vers le
nord-ouest en cherchant à atteindre l'Asie. Il se contente de reconnaître les
côtes du Labrador et de Terre Neuve mais fait naître chez les Anglais un
attrait particulier pour le continent Nord-Américain.
L'exploration
de l'Arctique débute réellement à la fin du XVIème siècle sous le
règne de la reine Élisabeth 1ère d'Angleterre qui voulait affirmer le
renom de son pays. Entre 1576 et 1587, elle favorise les expéditions maritimes de
Frobisher et de Davis qui ne vont guère au-delà de la mer de Baffin. En 1610,
Hudson découvre la baie qui porte désormais son nom.
Les
navigateurs Bylot et Baffin entreprennent une autre expédition en 1616. En
cartographiant la baie de Baffin, ils découvrent le détroit de Lancaster
encombré d'énormes icebergs, sans se rendre compte qu'il s'agit en fait de l'entrée
du passage tant recherché.
Ainsi,
en plus de trois siècles, des dizaines de navigateurs ou d'aventuriers anglais
vont se perdre dans la vaine recherche de cette route hypothétique. Même James
Cook, lors de son 3ème voyage autour du monde en 1778, se heurte aux
glaces du détroit de Béring et finit par conclure que l’existence de ce
passage n’est qu’une "fantaisie géographique".
Avec la
fin des guerres napoléoniennes, l'Amirauté britannique relance les explorations
polaires pour occuper ses officiers désœuvrés, permettant à ceux-ci de pouvoir
se distinguer en temps de paix. L'Amirauté relance une nouvelle
opération en 1818 menée par John Ross. Mais comme Baffin deux cent ans
auparavant, il pense que le détroit de Lancaster n'est qu'une baie et rate une
nouvelle fois l'entrée du passage.
L'Expédition de
John Franklin en 1845
Sous le
règne de la reine Victoria, l'Angleterre a besoin d'une opération prestigieuse
pour affirmer son expansionnisme et sa suprématie sur toutes les mers du globe : Rule,
Britannia ! Britannia, rule the waves...
En
1845, l'Amirauté confie à l'officier et explorateur John Franklin une nouvelle
mission pour chercher et enfin trouver le Passage du Nord-Ouest. Franklin est
un marin expérimenté qui, de plus, a déjà sillonné par deux fois les
territoires nord-canadiens. Cette nouvelle expédition est surtout le prétexte tout
trouvé pour stimuler l'ambition et la fierté nationale britannique sous l'ère
victorienne.
Franklin
quitte donc l'Angleterre à la tête de deux navires : les HMS Erebus et Terror.
Les deux bâtiments ont été aperçus par des baleiniers dans la mer de Baffin, au
large du Groenland, au début du parcours. Ensuite, plus rien ! L'Erebus et le
Terror se perdent à jamais avec leurs 128 hommes d'équipage, morts de maladie,
de faim ou de froid avant d'être arrivés à l'extrémité du Passage.
La
disparition des deux vaisseaux de Sa Majesté a nourri l'imaginaire britannique
à l'époque victorienne, et cet échec fut la justification de plusieurs investigations
menées par la Grande-Bretagne et les États-Unis à partir de 1848 pour retrouver
les disparus.
En
1853, John Rae recueille quelques témoignages fragiles d'autochtones et
retrouve quelques objets disséminés, levant le doute sur la fin tragique de
John Franklin et ses marins. Plus tard, la découverte dans un cairn d'un
message écrit apporte quelques renseignements fragmentaires sur le décès de
Franklin en 1847 sans fournir davantage de précisions sur les circonstances de sa mort,
ni les raisons de l'échec de la mission. L'annonce en 1854, de ces faits a
suscité un vif émoi en Angleterre.
Et si
le doute sur la disparition de Franklin n'était plus permis, l'énigme n'était toutefois
pas résolue.
Pourtant,
à défaut de retrouver Franklin vivant, les opérations lancées à sa recherche
ont permis de compléter utilement la cartographie et l'hydrographie du littoral
arctique canadien et de comprendre enfin que la période de navigation sans banquise
ne durait guère plus d'un ou deux mois, en août et en septembre de chaque année.
Résignée,
l'Amirauté abandonne définitivement son soutien à de nouveaux voyages dans la
région. D'un point de vue économique ou commercial, les efforts pour emprunter
les routes arctiques étaient démesurés pour un résultat aléatoire sans rapport
avec les sacrifices humains consentis. La nature impitoyable avait eu raison de
la ténacité britannique.
Pendant un siècle et demi, la disparition de l'expédition Franklin est restée l'un des
plus grands mystères de l'histoire de l'exploration polaire.
Tout
récemment, les Canadiens ont lancé plusieurs campagnes pour retrouver les
épaves des deux bateaux. C'est ainsi qu'en septembre 2014, grâce à des
technologies de pointe, les eaux glacées de l'Arctique ont fini par parler.
Aidés par des sonars perfectionnés, les archéologues canadiens ont repéré une
épave par 11 m de fond dans la baie de la Reine Maud, au sud-ouest de la l'île du
Roi Guillaume, comme étant celle d'un des deux bateaux de Franklin. Quelques
jours plus tard, les plongeurs ont remonté une preuve irréfutable
d'identification : la cloche de l'Erebus.
Deux ans à
peine après la découverte de l'Erebus,
le second navire, le HMS Terror,
a été retrouvé le 03 Septembre 2016 par les équipes de Parcs Canada et d'Artic Research à… Terror Bay dans l’ile du roi Guillaume, à 96 km
au sud de l’endroit où ce bateau était supposé avoir été écrasé par les glaces.
Il était posé debout avec presque
toutes les écoutilles fermées au milieu de la zone inexplorée de Terror Bay.
Les grandes
histoires en cachent toujours de plus petites. Lors des recherches, l'un des
navires a dévié sa route suite à la prise en compte du témoignage d'un membre
inuit de l’équipage. Celui-ci a en effet expliqué qu’en allant à la pêche six
ans plus tôt, il avait été intrigué par un gros morceau de bois sortant de la
glace du côté de Terror Bay…
L'examen de
l'épave des HMS Erebus et Terror, qui semblent bien conservées, devraient
apporter des indices essentiels à la compréhension du sort de Franklin et de
ses hommes.
L'après Franklin
Jusqu'au début du XXème siècle, aucun navire à voile n'était apte à louvoyer à
travers les glaces impossibles à éviter. Sans approvisionnement intermédiaire, aucun
bateau à vapeur ne pouvait charger suffisamment de charbon pour effectuer la
totalité du parcours. Il faudra donc attendre 61 ans après l'échec de Franklin,
pour que ce redoutable passage puisse être vaincu.
Le
premier à y parvenir est le norvégien Roald Amundsen à bord d'un petit bateau
de pêche, le "Gjoa" propulsé par un moteur à combustion interne. De
1903 à 1906, il réussira à venir à bout du Passage du Nord-Ouest après deux
hivernages qu'il met à profit pour réaliser des observations scientifiques sur
le magnétisme à proximité du Pôle Nord.
Ensuite, entre
1940 et 1942, le canadien Henry Larsen fera le trajet dans les deux sens à bord
du Saint-Roch, goélette mixte voile/diesel de 30 m de longueur.
Bien
plus tard, le québécois Real Bouvier est le premier plaisancier à franchir le
passage en trois saisons à bord d'un ketch de 10 m entre 1976 et 1978.
En
1977, le belge Willy de Roos est le premier à franchir en solitaire le Passage dans le sens est/ouest et en une
seule saison, à bord de Williwaw, un voilier en acier de 13 m.
A notre tour, nous
naviguerons dans le sillage de ces prédécesseurs légendaires. Même pour le
Soléal, la route est longue et incertaine. Malgré tous les équipements modernes
embarqués maintenant à bord des navires, la glace reste l’élément
incontournable et surtout imprévisible de tout déplacement dans la région.
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