VOYAGES, VOYAGES...

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FIN DE CROISIERE A NOME


MARDI 15 SEPTEMBRE 2015 - Jour 23 - de NOME à ANCHORAGE - (Alaska - U.S.A.)
 
 
06h15, le Soléal jette l'ancre au large de Nome, modeste agglomération de 3.500 habitants, perdue à l'ouest de l'Alaska. La nuit s'achève et l'on voit vers l'est les toutes premières lueurs de l'aube au-dessus de la côte.
 
08h15, nous rejoignons la marina du Soléal. Le Commandant est présent pour souhaiter un bon retour à chaque passager et trois élèves-officiers sont également là pour aider à l'embarquement dans le "tender". On se rassure en se disant que la mer n'est pas si grande et qu'un jour peut-être nos routes se croiseront ailleurs sur un autre bateau. Une façon élégante d'exprimer le plaisir réciproque d'avoir navigué ensemble…
 
Durant le transfert en tender, nous croisons plusieurs petites dragues. La ruée vers l'or est terminée depuis longtemps à Nome. Pourtant, quelques uns ont toujours espoir de faire fortune en remuant les fonds sableux peu profonds au large de Nome. Bon nombre de ces dragues sont également à quai dans le port.
 
Une fois débarqués du tender, nous prenons place dans un bus scolaire jaune "typical U.S." qui, après un rapide tour d'orientation, nous laisse au pied d'une église désaffectée sur la place centrale de Nome.
 
Scènes d'orpaillage à Nome, la cité de l'or
Nome a connu son heure de gloire à l'époque de la ruée vers l'or à partir des années 1890. La période faste s'est étalée sur une dizaine d'années. Tous les chercheurs d'or, les aventuriers, les hors-la-loi de tous poils sont arrivés là, au bout de la piste sans possibilité d'aller plus loin, pour draguer tous les marécages de l'arrière-pays de manière anarchique. La découverte d'or dans le sable des plages en 1900 a relancé les convoitises pour les quelques années suivantes.   
 
Nome - Front Street ne mène nulle part !
Nome est née de cette époque et en garde de profondes traces dans son architecture et son urbanisme. En déambulant dans Front Street, l'artère principale de Nome, on s'attend à voir arriver… Lucky Luke et Jolly Jumper ou la diligence de la Cie Wells Fargo ! Une rue bien trop large qui ne mène nulle part, bordée de petits bâtiments en bois, quelques saloons, des échoppes (poussiéreuses) de négoce d'or, des petits magasins d'une autre époque, un hôtel miteux, une banque. Tout le far west est là ! Ne manquent que les Dalton, le croque-mort ténébreux et le vautour impassible perché sur son poteau télégraphique. Ambiance !
 

Nome - Un album de Lucky Luke à ciel ouvert
 


 
L'Histoire du Passage du Nord-Ouest et celle du Pôle Nord nous rattrapent ici. Nome était la première escale de l'explorateur norvégien Amundsen après qu'il ait vaincu le premier le Passage en 1906. Et en 1925, il atterrira en ballon dirigeable à Teller, non loin de Nome, après avoir survolé le Pôle Nord. Une statue d'Amundsen commémore ces deux évènements devant un bâtiment administratif, dans Front Street.
 
Buste de Roald Amundsen dans Front Sreet
En arrière-plan, des godets de drague reconvertis en bacs à fleurs
 
 
Le retour
 
La visite de Nome était une parenthèse dans notre voyage de retour. En tout début d'après-midi arrive le moment du transfert vers l'aéroport et la prise de conscience brutale des tracasseries du monde actuel qu'on avait oubliées depuis longtemps : les valises qu'il faut refaire en catastrophe pour 1 kilo de trop, l'agent de sécurité trop zélé, la fouille très rapprochée au corps, le passage des doigts à l'aspirateur d'explosifs, etc, etc…
 
Sur le tarmac de Nome Airport

 
Survol de Nome. Dernier regard vers le Soléal, à droite de l'image
 

Il est presque plus facile d'aller au bout du monde que d'en revenir ! Vol Nome - Anchorage, une (très) courte nuit, puis vol Anchorage - Seattle, et enfin Seattle - Paris en survolant le sud de l'île Baffin au Canada et Kangerlussuaq au Groenland. La boucle est bouclée !
 
En quittant Seattle

 

La route du retour

 Atterrissage à Roissy le jeudi 17 Septembre à 08h45.
 
Un voyage hors normes vient de s'achever et que nous ne sommes pas près d'oublier !
 
Mais à quand de nouvelles aventures ?

L'ILE SAINT-LAURENT

LUNDI 14 SEPTEMBRE 2015 - Jour 22 - SAVOONGA - (Alaska - U.S.A.)
Commencé hier à Teller à 19h30, le plein de carburant à couple d'une barge s'est achevé à 00h15. Le passage à la pompe est une opération très longue. Aussitôt fait, le Soléal a remis en route pour la dernière journée complète de croisière.
07h15 à la passerelle. Le navire fait cap au sud-ouest vers la dernière escale de ce périple : le village de Savoonga sur l'île Saint-Laurent. Le ciel est très nuageux mais la visibilité est nette. La mer de Béring est agitée, le bateau roule et tangue quelque peu.



09h00 au théâtre, Raphaël, le Chef d'Expédition nous fait un récapitulatif et un grand survol de la croisière, en nous rappelant les débarquements les plus intéressants ou les rendez-vous inédits avec les communautés locales ainsi que les plus belles rencontres avec les animaux.
Chaque naturaliste intervient ensuite en faisant une présentation décalée de son activité de prédilection, images ou films à l'appui. L'humour, l'ironie ou le contretemps ne sont jamais très loin. Ainsi avons-nous eu droit à un rapide exposé sur les différentes résidences du Père Noël revendiquées par chaque pays ou région du Grand Nord. Ou bien une étude comparative très drôle sur les variétés d'excréments que la faune arctique dépose sur le sol ! Ou encore, l'ours blanc vu à travers l'imagerie populaire, etc… Nous avons eu la preuve que les naturalistes ordinairement très sérieux avec leur passion, sont aussi capables de la tourner en dérision…

"Récap" au théâtre
L'ïle Saint-Laurent au milieu de la mer de Béring

11h00, le Soléal s'approche de l'île Saint-Laurent. C'est une île allongée au profil montagneux, bordée de falaises sur sa côte nord. Le village de Savoonga s'étire en bordure de mer. Un débarquement et une visite y sont prévus, mais le vent et la houle font déjà douter de la réussite de l'opération. Avec le pilote américain, toujours à bord, le Commandant et le Chef d'Expédition cherchent une alternative en suivant la côte vers l'est pour faire une balade en Zodiac™ afin d'observer les nombreux oiseaux qui nichent dans les falaises.
 
Reconnaissance des falaises de Saint-Laurent. Trop agité !
11h45, une longue reconnaissance en canot met fin à ces espoirs à cause de la forte houle peu propice à une bonne observation. Demi-tour !
C'est ainsi que nous avons atteint le point le plus occidental de la croisière… Nous-mêmes, n'avons jamais été aussi loin dans l'ouest ! Un nouveau record inutile vient de tomber : 170°29' ouest, attesté par le GPS du bord !

A l'ouest ! Un peu plus à l'ouest !

12h00, tous les passagers sont conviés autour de la piscine du pont 6 pour l'apéritif de clôture de la croisière. A l'extérieur, le vent est glacial. Après une loterie à but caritatif pour gagner la carte du parcours, la petite troupe de danse du bateau et les hôtesses réceptionnistes proposent un court spectacle intitulé fort à propos "Winter Show". C'est bien réalisé et humoristique. C'est l'occasion d'un plongeon dans la piscine, qui bien que toujours en service n'a été que rarement utilisée durant cette croisière…

Spectacle de clôture sur le pont 6
En arrière-plan, la Russie. A gauche, l'ile Saint-Laurent
Il n'y a pas de manchots en Arctique. On pardonne !

14h30, après avoir contourné les curieux rochers isolés de Stolbi, le Soléal fait route au nord-est vers le petit port de Nome, terme de cette croisière…
Comme à l'habitude, cette décision du Commandant ne me ravit pas ! Ce sont les heures les plus difficiles de la croisière, celles où l'on comprend que le voyage touche à sa fin avant même d'avoir débarqué. On est toujours dans l'ambiance, mais sans illusions. On voudrait que cela dure en sachant que c'est quasiment fini. Soupir… !
 
Rochers isolés de Stolbi, au nord de l'ile Saint-Laurent
C'est l'heure du bilan de ce très long voyage où, en 3 semaines, nous avons parcouru 4.918 milles nautiques (9.100 km), tout au nord du monde en suivant la côte groenlandaise et en longeant le continent nord-américain. Ce n'est pas rien !
 
La totalité du parcours : 4.918 milles marins
Nous avions choisi ce voyage, d'abord et surtout, pour l'intérêt de son parcours dans des régions très peu visitées. Pour ce faire, nous n'avions pas d'autre option que Ponant qui est la seule compagnie à naviguer sur la totalité de cet itinéraire. Néanmoins, nous n'étions pas rassurés par l'argumentaire élitiste développé dans les catalogues de la compagnie, qui insiste beaucoup sur le luxe, le raffinement, etc, qui dans notre esprit ne sont pas des notions vraiment compatibles avec une longue "expédition" dans des contrées reculées au climat incertain.
Les passagers :
Nous avions peur que cet élitisme entraine à bord une atmosphère compassée et des mondanités où l'on ne se côtoie qu'entre soi. Peut-être la motivation et l’état d’esprit des passagers étaient-ils différents de celui d’une croisière conventionnelle ? (L'an passé, à bord de l'Aranui 3, le comportement de deux couples qui ne juraient que par Ponant nous avaient fait craindre le pire…). 
Nous avons plutôt été agréablement surpris. L’intérêt des deux restaurants et le fait de ne pas avoir de place attribuée à table ainsi que l'ordre aléatoire des débarquements en Zodiac™ à permis le brassage des passagers et facilité les échanges. Cela s’est plutôt bien passé et nous avons côtoyé plusieurs couples dont les motivations et les goûts étaient proches des nôtres.
Les hommes et les femmes du bord :
J'ai passé beaucoup de temps à la passerelle… C'est un monde clos et strict avec ses règles, ses usages, ses silences… qu'il faut savoir respecter. J'y ai trouvé ma place progressivement sans jamais forcer et personne ne m'a fait comprendre que j'étais un intrus. J'y ai vécu de bons moments très enrichissants. Les jeunes élèves-officiers, (qui n'ont pas encore l'habitude d'être longtemps coupés du monde extérieur), étaient visiblement ravis de pouvoir converser avec les passagers, quand ils en avaient la possibilité. Les lieutenants, qui sont de longue date intégrés au système et investis d'une lourde responsabilité, communiquent moins spontanément mais ils ne refusent jamais de répondre à une question judicieuse sur leur tâche à bord. Il y a eu avec eux de bons échanges lors des quarts du petit matin ou de début de nuit.
A l'extérieur, le Commandant est un homme courtois et plein d'humour, toujours dans son rôle. Mais dès qu'il pousse la porte de la passerelle, il s'investit instantanément dans la navigation, jauge la situation d'un seul coup d'œil, fait la synthèse de tous les cadrans de navigation en une seconde et distribue ses consignes en peu de mots.
Le Commandant se faisait également un devoir d'informer les passagers en leur annonçant lui-même les appareillages, les arrivées aux escales, les observations animalières imprévues, etc… A la radio, il a même réveillé ses passagers pour les inviter à admirer une aurore boréale, et il ne manquait jamais de conclure ses interventions par : "Que du bonheur !".   
De même, les guides d’expédition, les naturalistes, étaient toujours très disponibles et à l'écoute des passagers, même en dehors de leurs interventions. Le fait qu’ils pilotaient eux-mêmes les Zodiac™ ou qu'il était possible de dîner à leur table favorisait les relations.
Globalement, sans s'écarter du cadre professionnel, nous avions l'impression que le personnel embarqué se sentait proche des passagers et que les rapports étaient plutôt chaleureux. Sans doute à cause de leur nombre réduit, les passagers n'étaient ni transparents, ni anonymes.
  
Le bateau :
De construction récente (2013), le Soléal avec ses lignes très épurées et son nombre réduit de ponts ressemble plus à un grand yacht qu'à un gros paquebot. C'est un joli bateau, sûr, confortable, aux aménagements de bon goût sans luxe tapageur.
Nous disposions au pont 3 d'une belle cabine dont la sobriété de la décoration nous convenait bien. Le balcon était un petit plus dont nous avons peu profité… à cause de la température extérieure qui n'incitait pas au bain de soleil. Pour compenser, la salle d'eau était équipée d'une cloison vitrée (occultable), qui permettait de prendre sa douche ou se raser… en regardant la mer. Le luxe suprême !
Ce que nous avons regretté :
·        Le manque de grands cétacés (en dehors d'un important troupeau de narvals aperçu au Nunavut). Peut-être n'étions-nous pas au bon endroit au bon moment, mais la vision de ces grands animaux a été trop rare, lointaine et bien fugitive.
·        La quasi absence de banquise. On s'en doutait un peu, mais cela nous a aussi privés de marcher dessus et d'observer de nombreux phoques.
·        L'absence de morses.
Ce que nous avons aimé le plus :

·         La météo exceptionnelle au Groenland et au Nunavut.
·         Les levers de soleil interminables, la couleur orangée du ciel, le violet des nuages et le rose de la mer et des icebergs au petit matin.
·         Les couchers de soleil tout aussi interminables et leurs effets dramatiques dans le ciel.
·         Les icebergs colossaux du Groenland.
·         L'accueil des communautés inuites, en particulier celle de Kullorsuaq.
·         La navigation entre les icebergs de la baie de Kullorsuaq
·         Les longues observations des ours polaires. Impressionnant !
·         Le pèlerinage historique sur l'île Beechey sur les traces de John Franklin et J-R  Bellot.
·         La rencontre improvisée en mer avec le rameur français Charles Hedrich.
·         Le brouillard dans la banquise et l'arc blanc.
·         Les terrains mouvants de Smoking Hills
·         L'arrivée aux îles Diomède et l'ambiance mystérieuse de bout du monde.

Avant même de débarquer, nous savons déjà que nous avons fait un voyage exceptionnel, riche en émotions, en rebondissements où aucune journée n'était semblable à la précédente. Alors, pour paraphraser le Commandant : "Que du bonheur !"
18h30, dernier apéritif au salon du pont 3 avec les amis de cette croisière, puis dîner au restaurant du pont 2.
21h00, dernier quart de passerelle. J'en profite pour remercier le lieutenant et l'élève-officier de m'avoir supporté presque tous les soirs… Au final, c'est le lieutenant et l'élève qui se sont montrés reconnaissants de leur avoir rendu visite quotidiennement. Etonnant !
                                                                                                                                              
22h00, il a bien fallu se résoudre à faire les valises et les déposer dans la coursive !

LES ILES DU BOUT DU MONDE


DIMANCHE 13 SEPTEMBRE 2015 - Jour 21 - ILE DE PETITE DIOMEDE
(Alaska - U.S.A.)

 
Après avoir doublé hier le cap Lisburne, le Soléal a infléchi sa route vers le sud et, à 04h00 cette nuit, le bateau est repassé sous le Cercle Polaire Arctique, marquant la fin de la navigation dans les hautes latitudes. C'est ainsi que le Soléal pénètre dans le détroit de Béring.
 
Le détroit de Béring !
 
Si l'on se remémore les grands planisphères Armand Colin accrochés aux murs de l'école primaire, le détroit de Béring, c'était loin, très très loin, tout en haut à gauche du planisphère… Et encore plus à gauche, c'était le bout de la carte, le bout du monde ! Eh bien ce matin, au bout du monde, nous y sommes et ça ne laisse personne indifférent !
 
07h20, recouverte d'épais nuages, la silhouette de l'île de Petite Diomède se dessine lentement dans le petit jour qui tarde à se lever. Le temps est très gris, humide et sombre. Peu après, en retrait, c'est la Grande Diomède qui apparait, elle aussi sous les nuages. Lentement, le bout du monde commence à prendre forme. Pas gai !
 
Le détroit de Béring et l'île de Petite Diomède

Les îles Diomède, la Petite à droite, la Grande à gauche

La Petite et la Grande Diomède sont deux îles, deux sentinelles, deux forteresses posées juste au milieu du détroit de Béring. Ces îles se situent à un double carrefour géographique, entre deux continents, Amérique et Asie, et entre deux océans, Arctique et Pacifique. Elles sont aussi à un carrefour géopolitique entre deux blocs, U.S.A. et Russie. Et comme si cela ne suffisait pas, elles sont également à un carrefour fictif puisqu'elles sont séparées par la ligne de changement de date. Ca fait beaucoup pour le même endroit ! Et ce n'est pas sans influence sur ce que nous ressentons ce matin !
 
Les îles Diomède. Russie à gauche, Etats-Unis à droite
07h30, le Soléal contourne la Petite Diomède par l'est et le sud avant d'emprunter le chenal qui sépare les deux îles et mouille l'ancre face au village vers 08h00. Les mauvaises conditions de luminosité dramatisent encore l'impression d'abandon de ces îles perdues.
 
La pénombre de l'aube, la configuration des lieux, l'austérité du paysage confèrent à cette zone une atmosphère pesante et quelque peu angoissante. Même si ce n'est pas flagrant, il s'en dégage une ambiance particulière, sinistre et inquiétante. Cela est sans doute très subjectif, mais la région n'est pas neutre. Trois kilomètres seulement séparent les deux îles. A droite, la Petite Diomède est américaine, à gauche, la Grande Diomède est russe. Le Soléal s'est bien gardé de franchir la frontière entre les deux pays.
 
Carte marine du détroit de Béring
C'est vrai, nous sommes au bout du monde, au bout d'un monde ! Nous sommes arrivés aux confins du monde occidental. La géographie est là, mais il y a aussi le poids de l'Histoire qui influe sur ce que nous ressentons. Ainsi à quelques encablures du bateau, c'est la Russie, un énorme pays inquiétant, une autre civilisation, d'autres méthodes… Et plus étonnant encore, c'est un autre jour puisque la ligne de changement de date se superpose avec la frontière.
 
Mais cet endroit, pour le moins singulier, pourrait pourtant se prêter à quelques réflexions plus ou moins loufoques !
 
En effet, depuis Paris en nous déplaçant continuellement vers l'ouest, nous sommes arrivés aux portes de l'Extrême-Orient… Depuis le pont du bateau, on voit l'Ouest à l'est et l'Est à l'ouest, c'est-à-dire que le monde occidental se situe à l'est et l'Orient à l'ouest. Les Etats-Unis et la Russie ont une frontière commune et sont seulement distants de trois kilomètres… De plus, ici c'est aujourd'hui et là-bas, c'est demain ! Tous les repères habituels sont chamboulés…
 
L'île et le village de Petite Diomède
Depuis le pont du Soléal, nous apercevons le village de Petite Diomède (100 habitants), accroché au bas des pentes abruptes de l'île, avec la Russie comme vis-à-vis. C'est la seule agglomération de cette île austère. De Grande Diomède, côté russe, nous ne voyons et ne savons pas grand-chose… Les quelques Inuits qui y étaient implantés en ont été chassés durant la Guerre Froide et remplacés par des militaires. Les contacts et les échanges entre les populations des deux îles ont depuis été perdus.
 
Petite Diomède
Conformément à l'usage, les membres de la communauté sont invités à bord pour offrir un spectacle folklorique aux passagers. Toujours un peu pareil, toujours un peu différent. Ainsi, avons-nous eu droit à des chants psalmodiés accompagnés au tambour inuit et des danses s'apparentant à des exhibitions gestuelles sans doute héritées des anciennes pratiques chamaniques. Le tambour inuit est une simple peau tendue sur un cadre circulaire. Ordinairement, il est en peau de caribou mais à Diomède il est réalisé avec la paroi de l'estomac de morse. Les Inuits font avec ce qu'ils ont…
 
Petite Diomède, une communauté accrochée à son caillou
A l'issue du concert, nous rendons visite aux habitants. L'atterrissage des Zodiac™ sur la côte est particulièrement mouvementé dans une zone de gros galets ronds, noirs et glissants. Quatre marins philippins ne sont pas de trop pour stabiliser les canots à cause du violent ressac qui complique le débarquement des passagers.
 
Nous parcourons les sentiers et escaliers de Diomède guidés par l'un de ses habitants. Grâce à la traduction simultanée d'Ombline, notre guide inuit nous montre ce qui est indispensable à la survie des habitants : l'école surdimensionnée, le magasin, la salle commune, la clinique qui fait aussi douche municipale et buanderie collective, etc…
 
La clinique, douche municipale et laverie de l'ile
La topographie du village est compliquée. Les maisons sont construites en bois sur de hauts pilotis et sont serrées les unes contre les autres. On y accède par de longs escaliers en bois.  La majorité de ces habitations ne semble guère en bon état. Les rues sont des chemins de terre ou d'étroits platelages métalliques également sur pilotis et reliés entre eux par des escaliers. Tout se fait à pied. C'est un village accroché à la pente, à moitié suspendu dans le vide.
 

En parcourant le village
Pas de confort collectif, pas d'eau, pas d'égouts, juste l'électricité et les téléphones portables, pas de ravitaillement régulier. On ressent la précarité dans la façon de vivre, le dénuement, le système D… ! Ici, ce sont les Etats-Unis, mais visiblement l'"American way of life" n'est pas encore arrivée au bout de l'Alaska. La vie y est de plus en plus difficile à cause du recul de la banquise qui éloigne les zones de chasse. Les Inuits doivent rapidement s'adapter aux évolutions du climat pour survivre. Pourtant dans les années 90, les autorités U.S. ont proposé aux villageois de s'installer tous frais payés (y compris terrain et logement) sur le continent. Trop attachés à leur caillou, ils ont voté… et unanimement refusé !
 


Nous arrivons rapidement à l'extrémité du village. Nous revenons vers le rivage sous la pluie battante. De nombreux habitants ont tenu à nous accompagner jusqu'aux Zodiac™ en continuant à discuter. Ils nous voient partir avec une pointe de regret, pour eux notre visite a été trop courte. A quand le prochain bateau ?
 
Le bout du monde est un véritable choc.
 

13h15, appareillage sous la pluie et un ciel bas. Une heure plus tard, le Soléal contourne à vitesse réduite le rocher isolé de Fairway Rock où nichent une multitude d'oiseaux. Malgré les efforts du Commandant pour se rapprocher, le paquebot n'est pas le moyen idéal pour l'observation aviaire. Trop loin !
 
Fairway, réserve ornithologique
et rocher isolé dans le détroit de Béring
18h30, mouillage dans la baie de Teller pour faire le plein de carburant du bateau. Rendez-vous est donné dans la baie avec une grosse barge qui se met à couple. Le ravitaillement est conséquent et doit durer plusieurs heures.
 
Cette pause obligatoire dans la navigation est mise à profit par le Commandant pour organiser le cocktail de l'Au-Revoir au théâtre du pont 4. Cela a été pour lui l'occasion de récapituler avec beaucoup d'humour les moments les plus intéressants ou les plus forts de cette croisière, de présenter les membres d'équipage qui ont participé à sa réussite et bien sûr de remercier les passagers pour leur participation aux activités du bord.
 
Ce cocktail était aussi la mise en bouche du dîner de gala du Commandant au restaurant du pont 2. Une fois de plus, le Chef-cuisinier nous a montré de quoi il était capable…   
 
 
Aparté : La ligne de changement de date
 
Pilot Chart U.S. La ligne de changement de date est le pointillé rose
 
Pour faire simple, il a été convenu en 1884 lors d'une conférence internationale, que le méridien de Greenwich serait utilisé comme méridien origine des longitudes et également comme origine du temps. Le méridien de Greenwich est donc le méridien de longitude zéro. Le soleil à midi au-dessus de ce méridien est l'origine du temps.
 
Cette convention a été progressivement adoptée dans le monde entier et facilite bien la vie des marins et des aviateurs qui ont besoin de références communes dans leurs cartes et documents pour se déplacer à la surface du Globe.
 
L'opposé du méridien de Greenwich est l'antiméridien, situé à 180 degrés ouest ou est. Dans le temps, cette ligne se situe 12 heures en retard ou 12 heures en avance par rapport au méridien de Greenwich selon que l'on parcourt la Terre vers l'ouest ou vers l'est. Quand il est 12h00 à Greenwich, il est 00h00'01" le jour A quelques centimètres à l'ouest de l'antiméridien (12 h de retard sur Greenwich), et il est 23h59'59" le jour B quelques centimètres à l'est de l'antiméridien (12h d'avance sur Greenwich).
 
En franchissant l'antiméridien de l'est vers l'ouest, on saute une journée ; de l'ouest vers l'est on vit deux fois la même journée.
 
L'antiméridien à 180 degrés est théoriquement la ligne de changement de date.
 
Pour des raisons de cohérence territoriale et pour éviter de vivre deux dates différentes dans le même pays, il a été décidé par convention de modifier ponctuellement le tracé de cette ligne. C'est le cas pour la Sibérie, l'Alaska et les îles océaniennes où la ligne de changement de date ne se superpose pas avec l'antiméridien à 180 degrés.
 
Dans l'océan Pacifique Nord, la ligne dévie à travers le détroit de Béring pour passer entre les îles Diomède à 169 degrés ouest. La ligne dévie ensuite jusqu'à 172 degrés est pour que toutes les îles Aléoutiennes soient réglées sur le même jour que l'Alaska.
 
Je sais, c'est compliqué ! Jules Verne et Phileas Fogg avaient compris et expliqué cela bien avant moi dans "Le tour du monde en 80 jours" !