VOYAGES, VOYAGES...

PATAGONIE & ANTARCTIQUE - TANSAT FRANCE-ANTILLES - ISLANDE - ILES MARQUISES - PASSAGE DU NORD-OUEST - NORVEGE - TERRES AUSTRALES - POLYNESIE & ILE DE PAQUES - SAINT-MALO-NICE - TOUR DE CORSE - ANTARCTIQUE

AKUREYRI & GRIMSEY

Vendredi 30 Mai 2014


Ce matin escale à Akureyri, seconde ville d'Islande (17.000 habitants), située au fond d'un fjord de 55 km de longueur.
La matinée aurait pu démarrer moyennement mais la météo islandaise qui n'est pas à une contradiction près va en décider tout autrement. Vers 09h00, alors que nous commençons notre visite de la ville, les nuages disparaissent rapidement pour laisser la place à un soleil généreux. Dans la matinée, il fait si chaud que nous devons ôter anorak et pull.

Vue générale d'Akureyri
Nous parcourons une petite ville bien proprette, aérée et relativement animée qui s'étage en pente douce le long du fjord. Du haut des escaliers qui mènent à la grande église contemporaine, nous avons une jolie vue sur l'agglomération, les eaux du fjord et la rive opposée. Sous le soleil, la neige abondante qui recouvre encore les sommets, étincelle.
Nous poursuivons notre balade en traversant un quartier composé de maisons cossues entourées de jardins où poussent tulipes et jonquilles, et chose plus rare en Islande, des arbres ! Nous sommes à proximité du jardin botanique de la ville qui rassemble une collection de plantes islandaises et arctiques. La moindre plante est étiquetée, c'est hyper soigné et entretenu par de très jeunes gens. Les enfants viennent s'y distraire. C'est un endroit bucolique au cœur de la rude Islande…
 

Par les rue d'Akureyri

Appareillage en début d'après-midi pour une sortie somptueuse du fjord qui va durer un peu plus de deux heures. Grand soleil, ciel bleu. Sur la faible pente des rives, alternent fermes, champs de fourrage, petits hameaux. C'est très verdoyant. En arrière plan, les montagnes sont couvertes de neige. Sous le soleil, le paysage est éblouissant (dans tous les sens du terme).
 
La rive ouest du fjord d'Akureyri

Vent de l'arrière, l'atmosphère est très agréable. Les chaises transat et les fauteuils ont été judicieusement disposés sur les ponts extérieurs, et de nombreux passagers en profitent nonchalamment pour… bronzer ! Je passe ainsi mon quart, à en prendre plein les yeux en observant les eaux calmes du fjord ou les cimes environnantes… Une réelle impression de naviguer sur un lac de haute montagne tant l'air est limpide.
Vue depuis le salon d'observation

Dès la sortie du fjord, le FRAM met le cap sur l'île de Grimsey à 45 kilomètres au large. Grimsey serait restée dans l'anonymat, si elle n'était le seul point d'Islande traversé par le Cercle Polaire Arctique, qui lui a fait sa réputation. Elle reste une île très peu visitée à cause des liaisons maritimes ou aériennes aléatoires dues à une météo imprévisible, même l'été. La taille du FRAM permet de s'affranchir de ces considérations, d'autant qu'aujourd'hui, c'est calme plat.
Aussitôt en mer, le vent se renforce quelque peu et la température diminue en conséquence, mais avec le soleil cela reste très supportable. Sur l'arrière, la côte se profile nettement en un alignement de cimes copieusement enneigées qui irradient dans le demi-contre-jour.
C'est plus que splendide, l'Islande nous fait son spectacle. J'attendais beaucoup de ce voyage, et aujourd'hui j'en ai plus que je n'osais espérer. Les mots manquent. C'est beau, tout simplement beau. Beau à s'en faire mal aux yeux, beau à pleurer. Tout l'après-midi, je reste de quart sur le pont dans la contemplation des paysages.
En toute fin d'après-midi, nous débarquons en PCB dans le petit port de Grimsey. L'attraction principale, c'est que cette ile est traversée par le Cercle Polaire par 66° 33' Nord. C'est le seul endroit d'Islande où en théorie, le soleil tangente l'horizon au solstice d'été le 21 juin, et où il n'apparaît plus le jour du solstice d'hiver le 21 décembre. En théorie ! En réalité, c'est un peu plus compliqué que cela… Lignes imaginaires, les cercles polaires, comme les tropiques, l'Equateur ou le méridien de Greenwich, sont des repères fictifs sur la surface du globe. On ne les voit pas, mais c'est quand même bien utile pour connaître l'heure, les saisons ou sa position.
  
A Grimsey, le lieu est matérialisé dans la partie nord, derrière le petit aérodrome, par un tube en acier inox de trois mètres de long, que l'on enjambe grâce à quelques marches en bois. Tout le monde vient s'y faire photographier. Cela reste très symbolique. N'empêche que c'est la quatrième fois que l'on passe ligne et... que l'on s'y fait photographier aussi !
Grimsey est également connue comme repaire d'oiseaux marins. Les sternes occupent une grande partie de l'ile, elles peuvent être très menaçantes si l'on s'approche trop de leur territoire et le font bruyamment savoir aux intrus que nous sommes ; ça piaille à tout va au-dessus de nos têtes et Nelly n'est pas vraiment rassurée…
 
Les falaises de Grimsey

Nous déambulons au bord des falaises en contemplant à bonne distance les nids de fulmars ou de mouettes. Les macareux font leurs nids en creusant des terriers tout au sommet de ces falaises. Mais la plupart sont en pêche au large, pourtant nous en voyons deux s'envoler entre nos jambes, alors que nous étions confortablement assis dans la mousse au-dessus de ces terriers sans le savoir…
C'est le début de soirée, il fait grand jour. De l'île, on voit le FRAM en premier plan et à 45 km au-delà vers le Sud, on distingue clairement la succession des cimes couvertes de neige que le soleil éclaire encore largement.
 
2Oh30 - Visibilité : 45 km !
Quelle journée ! Et ce n'est pas fini !
21h30, appareillage. Le FRAM contourne Grimsey  par le Nord pour pouvoir franchir le Cercle Polaire. Pour nous, c'est donc la cinquième fois ! Cette longue expérience nous autorise à nous dispenser de la petite cérémonie du baptême de la ligne qui a lieu à l'avant du pont 5… Il y a quelques novices à bord qui se font introniser par un dieu Neptune plus vrai que nature et qui ne fait pas semblant en leur déversant une copieuse louche de glaçons dans le cou et le dos. Hurlements et rires ! Et chacun des courageux se voit offrir un petit verre d'aquavit pour dissiper les frissons…
On aurait pu croire la soirée terminée. En ralliant l'escale suivante, nous croisons la route d'un groupe de baleines qui fait son show… Toujours un peu trop loin et jamais assez longtemps. Mais le capitaine a arrêté son bateau presque une heure pour que les passagers puissent les admirer.
J'ai rarement quitté mon quart depuis le début de l'après-midi. J'en profite au maximum, il y a tant à voir ! Peu à peu les coursives se vident. 23h30, le soleil presqu'au Nord, ne descend plus vraiment et ses derniers rayons éclairent la côte. Au loin, les montagnes se teintent de rose… Magie du lieu, magie de l'instant. Il n'y avait pas grand monde à bord pour admirer cela !
Oui vraiment, une journée exceptionnelle en Islande !
 
L'île de Grimsey en arrière-plan
Le soleil de presque minuit




Le quart d'heure culturel


L'islandais, comment ça se parle ?


Lire l'islandais est une chose, le parler en est une autre !


Cette langue est issue du norvégien ancien, le norrois, qui du fait de l'insularité n'a pratiquement pas évolué depuis l'époque des invasions viking au IXème siècle. Cela fait que les Islandais peuvent encore de nos jours lire leur littérature ancienne, entre autres les Sagas, dans le texte original !


Tout serait simple pour nous s'il n'y avait qu'une seule façon de prononcer chacune des 32 lettres de l'alphabet. Mais les Islandais ont pris plaisir à compliquer les choses… La prononciation de chaque consonne est différente selon qu'elle se trouve au début, au milieu ou à la fin d'un mot ; et encore différente selon l'association de ces consonnes entre elles ou si ces mêmes consonnes sont doublées, etc, etc…


Tous ces caractères ou syllabes ont des prononciations particulièrement déroutantes pour nous, selon la position de langue dans le palais, la façon de faire passer l'air à travers le pharynx ou le nez. Ceci fait que certains mots nous sont impossibles à prononcer correctement : lettre aspirée, son guttural, roulement du r, etc…


La logique de la prononciation islandaise n'est pas la nôtre.


Un seul exemple qui à donné des sueurs froides à tous les présentateurs T.V. et journalistes du monde entier, commentant en direct en mars 2010 l'éruption du fameux volcan qui a perturbé le trafic aérien dans l'hémisphère nord, à savoir :

l'Eyjafjallajökull                                          Ey    ja     fjal     la            kull,

qui pourrait à peu près se prononcer :     É    YA    FIAT  LA  YEU   KEUTL,

à peu près, car bien sûr dans la réalité c'est encore bien plus subtil.


Mais heureusement il y une justice et la réciproque est vraie. Les Islandais sont morphologiquement incapables de prononcer certains sons auxquels nous sommes habitués, notamment les sons che, gle, je. Le simple énoncé de mon prénom est pour eux un véritable supplice !

 
 

HORNBJARG & SIGLUFJORDUR

Jeudi 29Mai 2014



Bien que couché vers minuit, quelque chose me dit qu'à 04h30 il serait grand temps que je sorte du lit. A travers le hublot, je comprends que le soleil éclaire déjà de hautes falaises et que le bateau est quasiment arrêté.
 
Cela mérite bien un petit tour sur le pont, mais malgré l'heure, j'ai déjà été devancé…
 
Le bateau est immobile au milieu de la baie de Hornvik, à l'extrême nord-ouest de l'Islande. La neige recouvre en abondance les pentes abruptes des montagnes. Et ce qui ne gâte rien, c'est que le soleil passe sous les nuages pour illuminer le cirque que forme le fond de la baie. La lumière rasante souligne chaque plissement du relief en y apportant des teintes chaudes du plus bel effet. C'est réellement splendide.
 


04h30 à Horvik


Nous sommes deux ou trois courageux passagers à admirer un tel décor, mais quelle récompense ! Ces petits matins spectaculaires sont un réel plaisir encore augmenté par le fait d'être à peu près seul pour les admirer. Je sais, c'est très égoïste, mais c'est la contrepartie d'une nuit écourtée…

 


Je reste ainsi jusqu'à ce que le soleil disparaisse au-dessus de la couche de nuages. Tout devient plus terne et surtout, la température chute immédiatement. A 06h00, il est temps de finir la nuit !


Sauf qu'à 07h00, nouveau réveil par la radio du bord. Le FRAM s'est approché très près de la falaise bordant la baie de Hornvik, qui est un site d'observation ornithologique d'importance. Le FRAM est entouré d'une multitude d'oiseaux qui plongent ou s'envolent en larges groupes, essentiellement des guillemots ou des pétrels fulmar. Les guillemots ont un envol poussif et doivent battre frénétiquement des ailes et des pattes avant de pouvoir décoller, c'est plutôt cocasse à regarder ; les plus malins préfèrent plonger furtivement à l'approche du bateau.
 
Ce sont des oiseaux de petite taille, mais ils sont des centaines de milliers bien alignés, à nicher dans la moindre anfractuosité ou la moindre faille dans les strates de la falaise. Plus haut, ce sont les mouettes tridactyles qui tournoient en rasant la roche.
 
Cette région est faite de hauts et très anciens volcans brutalement effondrés dans la mer, une moitié émerge, l'autre a définitivement disparu. Le relief du secteur est très mouvementé, tellement difficile d'accès qu'il n'a jamais été habité, sauf occasionnellement près de quelques rares plages où la mer permettait de débarquer. Les maîtres des lieux sont les trolls et les sorcières, c'est dire !
 
C'est l'un des derniers endroits encore sauvage d'Europe et c'est devenu un parc national très protégé. On ne peut y venir qu'en bateau depuis Isafjordur, et après c'est trois jours de marche éprouvante, même pour les trekkeurs les plus forcenés pour traverser la presqu'île.
 
Nous sommes ici face au Hornbjarg, le point le plus nord de l'Islande. Horn ? Y aurait-il un rapport avec le cousin Horn de l'hémisphère sud ? Vue de la mer, la similitude entre les deux caps est troublante… même falaise, même couleur noire, même forme conique, et bien que cela ne soit pas le cas aujourd'hui, mêmes souffrances pour le passer.
 



Horbjarg, le cap Horn islandais

Une nouvelle fois nous sommes cap-horniers !

Ensuite, nous avons été gratifiés d'une belle matinée de navigation, mer calme et visibilité islandaise portant loin. Vers le sud, la côte prend un profil plus alpin avec des cimes toujours très enneigées et vers le nord-ouest, à une quarantaine de kilomètres, tel un mirage, l'île de Grimsey émerge à peine de l'horizon. J'ai passé un long moment sur l'avant du pont 5. La météo pluvieuse des derniers jours est déjà oubliée. Je retrouve l'Islande que je connaissais. Pourvu que cela dure !
 
En début d'après-midi, nous accostons à Siglufjordur, au fond d'un petit fjord. Toujours beaucoup de neige sur les pentes. Ce port a largement prospéré grâce à la pêche au hareng pendant plusieurs décennies, mais brutalement périclité lorsque les bancs ont subitement et définitivement quitté la région en 1960.
 
J'y avais fait escale lors de mon 1er voyage en Islande en 1977, et je me souviens de l'état de délabrement des quais en bois construits sur pilotis, des rues désertes et d'habitants tristounets. Une vraie ambiance de far north ! En 2014, le village semble de nouveau faire preuve de dynamisme et d'animation.
 

Le quartier branché de Siglufjordur

Le cabillaud a remplacé le hareng. A peine quitté le FRAM, nous assistons à la débarque de ce poisson par bacs entiers. Durant l'escale, une partie de pêche à la ligne est organisée à bord des PCB, les participants sont revenus avec des prises de belle taille. Le soir, cette pêche miraculeuse a été découpée devant nous sur le pont 7 par les cuisiniers du bord qui en ont tiré de superbes filets.



La débarque du cabillaud


 


Le quart d'heure culturel
 
 
L'islandais, comment ça s'écrit ?
 
 
L'alphabet islandais comporte 32 lettres, dont deux sont inconnues de l'alphabet latin :
·         Ð ou ð, équivalent au dh anglais
·         Þ ou þ, équivalent à th.
vestiges des anciens caractères runiques scandinaves, antérieurs au Moyen-Âge.

Tous les autres caractères sont issus ou dérivés de l'alphabet latin, tels :
A Á B D E É F G H I Í J K L M N O Ó P R S T U Ú V X Y Ý Æ Ö
et leur équivalent en minuscules.

Les voyelles accentuées sont considérées comme de véritables lettres et non pas comme des variantes, (tels les accents sur voyelles françaises).

Les lettres C, Q, W, Z ne font pas partie de l'alphabet islandais, néanmoins elles ne sont utilisées que pour les mots d'origine étrangère.
 
Il va sans dire que tous les mots islandais sont truffés de ces caractères spéciaux et que leur lecture ou leur saisie dans la langue originelle devient vite fastidieuse pour nous.
 
Dans ce blog, j'ai donc choisi de latiniser tous les caractères pour des raisons de facilité. Le texte y perdra sans doute un peu de sa précision, mais je pense qu'il n'y perdra pas en compréhension, malgré la réprobation inévitable des puristes…

ISAFJORDUR

Mercredi 28 Mai 2014
Journée complète de relâche à Isafjordur. Les prémices d'amélioration météorologique entrevues hier soir se précisent. L'atmosphère est limpide, les sommets des montagnes environnantes sont nets, et surtout dégagés de leur couche nuageuse qui a pris de la hauteur. Pas encore de soleil, mais nous ne désespérons pas.


Temps clair à Isafjordur - On n'y croyait plus !


L'Internet dans le petit bureau d'accueil sur le port ne fonctionne pas, pas plus que sur le FRAM. La mise en ligne de ce récit est vraiment problématique…
Isafjordur est la ville la plus importante des Fjords du Nord-Ouest. 2.600 habitants ! Comme à Flateyri, la ville est construite sur une longue péninsule qui barre le fond du fjord. C'est un important port de pêche, quelques gros chalutiers sont amarrés à quai mais comme partout, la pêche artisanale semble en voie de disparition.
 
Symétrie à Isafjordur
La ville est vite parcourue. Quelques rares commerces traditionnels, un supermarché et deux fast-food sont les seuls points d'attraction. Il subsiste un nombre important de maisons anciennes bien préservées, aux toits et façades en tôle ondulée. Le charme vient des différentes couleurs de ces maisons. Et les décors ou expositions d'objets derrière les fenêtres doivent témoigner de la personnalité des occupants. Ce détail est une constante des pays nordiques, bien que cela semble ici moins léché qu'en Norvège.


Résider ou vivre dans cette région ne doit pas être qu'une partie de plaisir. C'est loin de tout à cause des kilomètres à parcourir pour contourner l'un après l'autre chacun des nombreux fjords ou franchir des montagnes escarpées qui sont autant d'obstacles à un déplacement aisé. Sans parler de l'obscurité, de la neige et du froid qui y règnent durant le long hiver. Ici, c'est pire que le bout du monde ! Et tout au nord de cette zone de fjords, il n'y a que les oiseaux qui peuvent s'y plaire, il n'y a jamais eu de routes pour s'y rendre.
L'après-midi, nous avons du temps devant nous et nous nous connectons à la civilisation au bar d'un petit hôtel, ce qui nous permet d'envoyer rapidement deux pages de ce blog. Nous recevons aussi quelques mails, mais il est impossible d'en envoyer. Les voies de l'informatique sont décidément impénétrables !
 
Le terminal croisière d'Isafjordur
21h30, tout le monde sur le pont pour l'appareillage d'Isafjordur ! Temps clair, belle visibilité, l'immense chape de nuages est en altitude. Cela change des jours précédents et c'est tant mieux. Le FRAM quitte un fjord pour faire un détour vers un autre, le commandant veut nous faire admirer une ancienne station baleinière norvégienne en activité jusqu'en 1930. Sur un replat de la côte, subsistent quelques bâtiments, une vieille cheminée… Le fond du fjord est complètement enneigé.
 
Le MS FRAM donne l'échelle de la hauteur de la vallée glaciaire

Le FRAM fait lentement demi-tour. Impossible de trouver la sortie ! L'horizon est complètement barré par des montagnes tabulaires noires rayées de longues strates horizontales. Et toujours beaucoup de neige. En avant lente, le FRAM rase les berges du fjord.

Une belle visibilité et peu de vent ressenti, il est agréable de prendre le quart sur la plateforme du pont 5 où je suis seul. Le bateau ayant enfin trouvé la sortie du vaste réseau de fjords, le vent se lève et la température fraîchit. Il est près de minuit, il fait grand jour, et si ce n'était le poids des paupières, je serais encore bien resté à contempler ces paysages grandioses.

Le quart d'heure culturel
L'Islande, comment ça marche ?
Avoir le plus haut niveau de vie du monde, c'est bien ! Mais cela demande beaucoup de sous !
Et pour y parvenir les Islandais étaient devenus depuis plusieurs décennies des magiciens de la planche à billets. Jusqu'à une date récente, le pays et sa population vivaient largement le jour avec des crédits remboursés par l'inflation du lendemain et tout allait bien.
Mais, tout de même, comment ne pas se poser quelques questions sur ce qu'était ce fameux miracle islandais ?
Pour fixer les idées, l'Islande, c'est 100.000 km² et 300.000 habitants (dont 200.000 à Reykjavik). Désertique à 90%, c'est donc un pays 5 fois plus petit que la France pour une population 20 fois moindre.
Ainsi, en nombre d'habitants, le pays a la taille d'une agglomération française moyenne, mais vit au rythme d'un grand Etat avec gouvernement, représentations à l'étranger, banque centrale, et tout, et tout…
Hormis d'abondantes ressources hydroélectriques et géothermiques inexportables, l'économie repose sur la production et l'exportation d'aluminium, mais surtout sur la pêche que l'Islande défend bec et ongles. Des conditions climatiques et géologiques défavorables font que l'agriculture de subsistance reste confidentielle ; cette agriculture est principalement consacrée au fourrage destiné à l'alimentation hivernale des moutons et des bovins. L'essentiel de l'activité islandaise s'oriente maintenant vers les services.
Tout le reste est importé et l'un ne compense pas l'autre. Jusqu'au début du XXIème siècle, l'inflation monétaire (toujours très supérieure à la moyenne générale), compensait tant bien que mal, ce déséquilibre…
Jusqu'en 2008 !
En 10 ans, l'Islande est ainsi passée d'une économie traditionnellement stable basée sur la prospérité de la pêche à une économie hasardeuse fondée sur la finance à risque, ce qui a rendu le pays particulièrement vulnérable.
Le problème est venu de la croissance débridée des banques islandaises et de leur taille démesurée par rapport à celle du pays, et aussi de l'imprévoyance et des erreurs de la banque centrale du pays et des politiques.
Les banques locales s'étaient lancées dans une politique d'endettement effrénée et de gonflement des bilans en spéculant sur des actifs étrangers de plus en plus risqués. Les taux d'intérêt qu'elles proposaient aux épargnants locaux, britanniques ou bataves étaient plus qu'attrayants et ce fut le début d'une accélération vertigineuse… vers l'endettement colossal de ces organismes bancaires. En 2008, les dettes des banques représentaient douze fois le PNB de l'Islande, largement supérieur à ce que l'Etat islandais pouvait garantir.
La méfiance interbancaire générée par la crise des subprimes U.S. a d'abord fait chuter la 3ème banque islandaise qui ne pouvait plus se refinancer. Sa nationalisation précipitée a ébranlé tout le système et mis les autres banques à genoux, puis l'Etat.
Ce boom bancaire a soutenu la croissance durant une dizaine d'années et les Islandais qui en ont bien profité se sont laissé hypnotiser par des responsables à l'égo hypertrophié, qui confondaient banque et casino... Dans cette petite île pourtant habituée aux soubresauts et aux déchaînements des éléments naturels, la tempête financière a tout balayé sur son passage : les banques, la monnaie, l'immobilier, l'activité économique… et les bas de laine de plusieurs dizaines de milliers de petits épargnants ! Sans parler de l'augmentation durable de leurs impôts.
Classée début 2008 en tête des "pays où l'on vit le mieux", l'Islande et ses 300.000 habitants sont passés brutalement sous perfusion. Sans doute, les Islandais s'en relèveront-ils ! Les cycles de récession et d'expansion se remettent rapidement en marche dans une société aussi réduite mais très réactive, et historiquement aguerrie par les rudesses et aléas climatiques et géologiques.
Pour preuve :
Dans leurs fantasmes mégalomaniaques, banquiers et politiques avaient imaginé de doter Reykjavik (200.000 habitants !), d'un complexe pharaonique comprenant salles de concert, centre culturel, centre d'affaires international, grand hôtel de luxe et nouveau siège de la première banque du pays. Un architecte danois a été associé au délire et ne s'est pas privé. La folie des grandeurs !
2008 a stoppé net la poursuite de la belle construction, déjà bien avancée. Seule, Harpa, la nouvelle salle de concert était sortie de terre, mais ce chantier abandonné devenait aux yeux de la population le symbole trop évident de ce qui avait mené le pays à sa perte. Insupportable !
Malgré les problèmes financiers, le gouvernement a continué dans la douleur la construction de Harpa. Les salles de concert ont été inaugurées en 2011. L'achèvement de Harpa est alors devenu le symbole de la capacité des Islandais à avoir su dépasser cette crise.
On veut y croire !