Mercredi 29 Mars 2017 - EN MER - 8ème
Jour
On a compris hier soir que le
Commandant était pressé de quitter Crozet pour échapper à une dépression qui
n'aurait pas manqué de nous rattraper si nous avions prolongé l'escale. Le
Marion Dufresne navigue maintenant dans les mers du sud, autant éviter le contact
frontal avec le mauvais temps.
Alors, durant la nuit, le Marion a commencé à
tracer sa route depuis Crozet vers l'île de Kerguelen, soit 800 milles
nautiques à parcourir (1.480 km), entre 46 et 49 degrés de latitude sud à
travers des mers réputées hostiles.
06h30, il fait déjà jour, le ciel est clair lorsque
j'arrive à la passerelle. A 21 m au-dessus de l'eau, il m'est bien difficile
d'evaluer précisemment l'état de la mer qui semble à peine animée par un vent
de 25 nœuds et la houle de trois-quart arrière. Rien de méchant donc, si ce
n'est un léger roulis ! Timidement le soleil commence à sortir de l'eau et à
s'éléver au-dessus d'un voile de brume sur l'horizon. Calme relatif étonnant ici
!
Début de journée entre Crozet
et Kerguelen
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Je profite de ce moment de tranquilité apparente en début
de journée à la passerelle, où je suis seul avec l'équipe de quart. Je profite pleinement
de cette navigation dans les mers lointaines, dans les mers du grand sud. En
prendre conscience augmente encore la sensation d'éloignement, d'immensité. Aux
limites du monde, l'océan semble encore plus vaste, encore plus infini… (si
plus vaste que l'infini puisse être possible !).
Le dernier navire a été aperçu au sud de la Réunion il y a
plus de six jours. Depuis, le Marion navigue seul en dehors de toute route commerciale
sur la mer immense. Il n'y a rien d'autre sur l'océan que le Marion qui trace
son sillage à plus de 15 nœuds.
Les mers du sud
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08h00 sur le pont supérieur. Le
paysage a légèrement changé… La mer est étonnamment bleue mais à cause du vent
qui a forci, l'écume s'envole de la crête des vagues. Au vent arrière, le
roulis augmente également.
Comme le vent continue à forcir,
je me replie sur la plate-forme arrière encombrée par quantité d'appareils de
manutention, grues, portique de relevage ou treuils en tout genre. L'endroit
n'est pas très poétique, mais on y est bien calé au ras de l'eau pour suivre le
sillage du bateau, ou accompagner le ballet incessant des grands oiseaux, albatros
ou pétrels qui sans un seul battement d'ailes, se font aspirer par le Marion, le
rattrapent, le survolent et redescendent au ras de l'eau après de longs planés.
Le pont arrière du Marion Dufresne est une véritable usine |
L'océan Indien
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Ces grands oiseaux voiliers (3.50
m d'envergure moyenne pour le grand albatros) se jouent du vent et des vagues
en profitant de la moindre ascendance pour se relancer et parcourir des
milliers de kilomètres avant de revenir nicher à terre. Ils sont l'inlassable
spectacle des mers désertes du grand sud. Fascinant !
A la passerelle, un jeune
ornithologue embarqué à Crozet poursuit sa mission. Après avoir bagué les
oiseaux à terre, il les compte maintenant. Durant dix minutes chaque heure, il
recense tous les oiseaux qu'il aperçoit sur un quart de l'horizon. Et dans
cette zone, il n'est pas au chômage ! Ses observations seront transmises
ultérieurement à un centre d'études biologiques dépendant du CNES.
Les oiseaux du grand large
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Pétrel |
Albatros |
16h00, conférence par un
professeur d'université et directeur de laboratoire de biologie marine sur la
réalisation d'un programme océanographique étudiant la présence du CO² dans
l'océan Austral. Il va sans dire que le sujet est extrêmement pointu. Des
prélèvements ont déjà eu lieu il y a quelques mois, mais il faudra que le
Marion Dufresne récupère trois bouées équipées de pièges à particules et
d'instruments de mesure dans le sud-est de Kerguelen d'ici quelques jours. L'enjeu
est important et le succès du programme dépend bien sûr de la météo.
Jeudi 29 Mars 2017 - EN MER - 9ème
Jour
Le bateau navigue plein est et
l'évènement de la nuit a été le changement d'heure. Il a fallu avancer les
montres d'une heure pour passer à UTC +5, soit trois heures d'avance sur
l'heure d'été française. Beaucoup de passagers profitent de ce décalage et de
la navigation en haute mer pour faire la grasse matinée. Résultat, bien peu de
monde à l'heure habituelle au petit-déjeuner !
Le vol majestueux de l'albatros
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Depuis hier soir, la mer est plus
agitée mais n'a rien perdu de sa couleur bleue si lumineuse. Avec le vent, les
oiseaux tournoient toujours autour du Marion. Infatigables, les grands
albatros, les pétrels, prions ou autres damiers du Cap, sont le spectacle de la
matinée.
Ambiance studieuse au PC
Sciences
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En début d'après-midi, je
m'installe au PC Science pour écrire quelques lignes de ce blog. Située à
l'arrière du pont F, à quelques pas de la cabine, c'est une vaste salle
lumineuse équipée d'appareils de mesure ou d'observation. Cette salle est aussi
dotée de larges plans de travail qui permettent de brancher une multitude
d'ordinateurs où tous les jeunes scientifiques, les écrivains, les photographes
ou ceux qui ont à travailler s'y rejoignent dans une ambiance studieuse. J'y ai
trouvé ma place devant une large fenêtre qui donne vers l'arrière du bateau. De
là, je peux surveiller le sillage du bateau et le ballet des oiseaux qui
suivent le Marion… Je n'ai pas beaucoup écrit !
Mon quart de surveillance du
sillage
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C'est également dans le PC
Science qu'ont lieu les traditionnelles séances de tamponnage philatélique la
veille de chaque arrivée dans une île. Aujourd'hui ne déroge donc pas à la
règle, d'autant que le courrier devant être posté de Kerguelen est
particulièrement volumineux. C'est l'île la plus connue, donc les demandes des
collectionneurs de timbres et de tampons sont importantes. Mme le Secrétaire
Général, quelques VSC et tous les passagers s'y sont attelé, résultat : une
heure trente de tamponnage continu ! Ca muscle le bras droit !
Cérémonie traditionnelle la veille de chaque arrivée dans une base |
L'océan et la DZ (plateforme
d'envol de l'hélicoptère)
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21h15, vent arrière de 25 nœuds,
ça roule un peu mais reste toujours confortable. Le Marion double la pointe
sud-ouest de Kerguelen avant de rallier la base de Port-aux-Français demain aux
aurores.
Comme tout groupe social ou professionnel, la confrérie des hivernants
des bases australes a ses codes, ses rites, ses traditions. Vivant de longs
mois en vase clos dans un univers hostile, les résidents ont développé un langage
propre appelé "taafien". Leurs conversations ou leurs écrits sont
émaillés d'expressions ou de termes ésotériques ou abscons, déroutant le
locuteur hexagonal lambda.
Le taafien est le langage commun qui rassemble une population aussi diverse
qu'instable. Ce sabir austral est un savant mélange d'abréviations, de
déformations, d'acronymes ou de surnoms.
Les résidents se sont également approprié le vocabulaire administratif qui
réduit les noms de lieux à trois lettres : CRO(zet), KER(guelen), AMS(terdam)
pour ne citer les principaux. Beaucoup de sites sur place sont désignés de la
même façon. Et le chef de chaque district devient ainsi le DISCRO, DISKER ou
DISAMS…
L'humour, le double sens et l'autodérision sont les fondements mêmes de
ce jargon subantarctique bien particulier.
Florilège :
Pompeur
d'air : Chimiste chargé des
prélèvements et d'analyses de l'atmosphère à Ams.
Playmobil
: Personne chargé de la
sécurité des passagers et du fret lors des atterrissages de l'hélicoptère, à
cause de sa combinaison rouge ignifugée, son casque bleu à visière plexi et son
caque anti-bruit qui lui donnent une allure un peu raide.
Petite-Marie
: Nom donné à la personne qui
assure le service en salle à manger et le ménage. Avant la féminisation des
bases en 1995, les hivernants masculins qui assuraient cette fonction à tour de
rôle s’appelaient entre eux "Petite-Marie". Depuis, l'appellation a
été conservée.
Pimpon
: Responsable de la
sécurité.
Bib
: Médecin, ex :
BibKer, BibCro, etc...
Bibou : Médecin-Adjoint ou
infirmière.
PAF : Acronyme de
Port-aux-Français, capitale des Kerguelen.
Totoche
: A Kerguelen, bar des
mers du Sud, haut-lieu de la Jet Set de PAF.
Manip : Déplacement à l'extérieur
de la base pour observation, comptage, etc…
Manipeur : Exécutant d'une manip.
Zézette : Talkie-walkie que tout
manipeur doit utiliser pour communiquer sa position et recevoir la météo lors
de ses déplacements à l'extérieur de la base. Sécurité oblige !
Alfred : Manchot royal, par analogie avec le "Pingouin
Alfred", héros de l'ancienne bande dessinée "Zig et Puce". Aussi
un jeu de mots avec le météorologue Alfred Faure, qui a implanté en 1961 la
base de Crozet au milieu des manchots royaux.
Bonbon
: Jeune éléphant de mer,
car les orques semblent les consommer comme une friandise.
etc,
etc… |
C'est sympa de pouvoir profiter de la passerelle et des ponts extérieurs avec ce temps "clément"...
RépondreSupprimerAurais-tu préféré avoir une mer un peu plus "difficile" sans arriver jusqu'à en être malade ?
C'est vrai qu'il y a eu de bons moments passés à l'extérieur puisque la météo le permettait.
RépondreSupprimerBien sûr, je m'attendais à être davantage bousculé à ces latitudes. Les 40èmes ont manqué de souffle pour rugir, mais finalement personne ne s'en est plaint.
Cdlt. JJM