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ILES KERGUELEN - Cabane Laboureur (1/2)




LES ÎLES KERGUELEN

Situé à la lisière des Cinquantièmes Hurlants, l'archipel des Kerguelen est constitué de trois groupes distincts, les îles Nuageuses, les îles Leygues et l'île principale la Grande Terre, elle-même entourée d'environ 300 petites îles ou îlots.

Cet archipel d'origine volcanique, d'une superficie à peu près équivalente à celle de la Corse, culmine au Mont Ross à 1850 m. La partie ouest de la Grande Terre est recouverte par la calotte glaciaire de Cook qui s'étend sur 400 km2 et qui culmine à 1050 m. Les côtes, très découpées, sont entaillées de fjords profonds et de nombreuses baies, dont le Golfe du Morbihan où est implantée la base permanente de Port-aux-Français.

Port-aux-Français est situé à 49°21' de latitude sud, soit à une latitude équivalente à celle de Rouen dans l'hémisphère nord. On se sent ainsi moins désorienté !

Histoire

Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec est un officier de marine quimpérois qui s'intéresse à la grande préoccupation scientifique du XVIIIéme s. : l'existence d'un continent austral sensé équilibrer les terres émergées de l'hémisphère nord.

Après avoir convaincu le roi Louis XV de financer une expédition de deux bateaux pour rechercher ce continent, Kerguelen découvre en février 1772 un territoire qu'il pense être la "Terra Australis Incognita".  A cause de la mauvaise météo, il ne peut y débarquer lui-même mais envoie le capitaine du second navire prendre possession, au nom du roi, des terres qu'il nomme "France Australe".


De retour à Versailles, Yves de Kerguelen fait une description avantageuse de ses découvertes et reçoit aussitôt l'ordre de mener une seconde expédition. En janvier 1774, Kerguelen retrouve les côtes déjà visitées. Mais finalement, elles s'avèrent bien différentes des représentations enjolivées qui avaient justifié le voyage ; le relief et les conditions météorologiques ne permettent qu'une courte incursion à terre, juste le temps pour qu'un autre de ses lieutenants dépose dans une bouteille un écrit au nom du roi de France (message qui sera retrouvé par James Cook deux ans plus tard).

C'est ainsi qu'Yves de Kerguelen baptise le continent tant espéré du qualificatif peu flatteur de "Îles de la Désolation"… ! Lors de son troisième voyage autour du Monde en 1776, James Cook attribuera à ces îles le nom de leur découvreur, Kerguelen.

Bien qu'à priori françaises, les Kerguelen seront surtout fréquentées au XIXème s., par des chasseurs baleiniers ou phoquiers américains et britanniques qui trouveront refuge dans les nombreux fjords de l'archipel.

En l'absence de Français établis sur place, l'archipel est convoité par d'autres pays. Aussi le gouvernement envoie-t-il en 1893 un navire militaire déposer plusieurs plaques pour marquer officiellement l'emprise de la France sur cette terre lointaine. La même année les frères Bossière, des entrepreneurs du Havre, obtiennent pour cinquante ans une concession pour exploiter les ressources des îles, marquant un peu plus l'appartenance des Kerguelen à la France.

L'histoire des Kerguelen dans le premier tiers du XXème s. est surtout marquée par les errements industriels des frères Bossière.

En 1924, l'archipel est classé Parc National et devient administrativement une dépendance de la province de Tamatave à Madagascar, colonie française à l’époque.

En 1949, l’aviso La Pérouse débarque vivres et matériel afin de créer une base permanente dans une petite anse du Golfe du Morbihan nommée Port-aux-Français, dont les pionniers étaient des militaires. Depuis 1951, la base s'est ouverte aux civils, chercheurs ou logisticiens. Les hivernages se sont succédé sans interruption assurant ainsi définitivement la présence française sur îles Kerguelen, qui deviennent un district des T.A.A.F. en 1955.


Au cours de ces voyages, il est parfois de bien curieux télescopages historiques :

Entre mai et juillet 1840, le navigateur anglais James Clark Ross effectue une escale aux iles Kerguelen avant de se lancer dans l'exploration de l'Antarctique, que les scientifiques de l'époque connaissent bien mal. Pour cette expédition, Ross commande le navire l'Erebus, et l'autre bateau, le Terror, est commandé par le capitaine Francis Crozier.

Hasard de l'Histoire, c'est James Clark Ross lui-même qui est pressenti en 1845 par l'amirauté britannique pour enfin trouver le Passage du Nord-Ouest tant recherché au nord du Canada. Mais Ross décline et c'est finalement John Franklin qui le remplace pour tenter de découvrir ce passage à bord de l'Erebus. Et c'est encore le capitaine Francis Crozier qui est second de l'expédition et toujours aux commandes du Terror.

Toute l'expédition de Franklin disparaitra dans les eaux glacées de l'Arctique en 1848.

Presque les mêmes hommes sur les mêmes bateaux pour deux expéditions différentes !

Et le Passage du Nord-Ouest était justement l'objet de notre croisière de 2015…







Vendredi 31 Mars 2017 - CABANE LABOUREUR - 10ème Jour


06h00, à la passerelle. Il fait encore nuit mais déjà on devine les côtes de l'île de la Grande Terre dans l'archipel de Kerguelen. Le commandant est à la manœuvre pour les derniers milles de navigation avant de jeter l'ancre devant la base de Port-aux-Français, dans le golfe du Morbihan. Le jour se lève difficilement, mais on discerne quelques lumières sur la base et aussi des feux d'alignement pour guider précisément le bateau vers son mouillage.





L'arrivée à Port-aux-Français vue de la passerelle

Sur les écrans du PC Sciences, les derniers milles dans le golfe du Morbihan
L'escale doit durer plusieurs jours pour ravitailler totalement la base de Port-aux-Français (PAF) qui est importante. Il y a le courrier à débarquer, les vivres, des matériaux de construction, des machines ; il y a aussi des déchets et du matériel devenu inutile à rembarquer. Beaucoup d'allées et venues de personnel à gérer. C'est Patrice, l'OPEA, qui régente tout cela.

L'OPEA est le grand organisateur des rotations d'hélico ou de chaland qu'il dirige selon un timing quasi militaire. C'est à lui que revient la responsabilité de l'approvisionnement des îles et des mouvements de personnes entre le bateau et la terre. En fonction des aléas météo, c'est lui qui décide du planning en tenant compte des exigences du Commandant et du pilote de l'hélicoptère, pour qui la moindre survente peut compromettre la réussite des opérations. La radio VHF collée en permanence à l'oreille, il est le lien indispensable entre la passerelle, la cale, la drop zone, les passagers et la base.


Au mouillage devant Port-aux-Français
Et lors de cette escale, il faut disposer d'un créneau météo suffisamment long (18 heures) pour distribuer 900 m3 de gas-oil à Port-aux-Français. C'est donc la première tâche à effectuer alors que le bateau est à peine à l'ancre.

Depuis un énorme touret situé sur le pont arrière, une manche à gas-oil est halée depuis le navire par une petite vedette et déroulée jusqu'au "port pétrolier" de PAF. De grosses bouées permettent à cette canalisation souple de flotter pour faciliter la manutention. Il faudra presque deux journées pour mener à bien l'opération et remplir les cuves. La base ne manquera donc pas de carburant, ni de chauffage, ni d'électricité au grand soulagement des résidents qui pourront tenir jusqu'à la rotation suivante en août prochain.


Déroulage de la manche à gas-oil sur le pont arrière

La manche à gas-oil tractée devant la base de Port-aux-Français
La base de Port-aux-Français a été crée en 1949 sur les rives basses de l'est du golfe du Morbihan dans l'espoir d'y construire une piste et d'y faire atterrir des avions qui auraient pu surveiller plus facilement la zone économique. (Mais était-ce la seule raison ?). Ce projet n'a jamais vu le jour.

L'analogie avec le golfe du Morbihan breton est par trop évidente : une vaste mer quasi fermée parsemée d'une multitude d'îles ou d'îlots séparés par quantité de chenaux parallèles créés par la fonte ancienne des glaciers. Le fond du golfe est un véritable labyrinthe nautique.


Le fond du golfe du Morbihan
Ce matin, les passagers que nous sommes sont séparés en deux groupes pour visiter quelques coins secrets de la Grande Terre. Avec Camille, le guide de la Réserve Naturelle (ResNat) nous passerons deux fois deux jours à terre en logeant dans des cabanes habituellement utilisées par les jeunes V.S.C. lors de leurs manips.

10h15, embarquement dans l'hélico qui aussitôt nous emmène à près de 200 km/h pendant une dizaine de minutes jusqu'au fond du Bras Jules Laboureur,  à 30 km dans l'ouest de PAF, en survolant plusieurs îles du golfe (qui était Jules Laboureur, et quand a-t-on donné ce nom ?). L'hélico nous dépose sur une petite pointe de galets au fond du fjord.




En bas au centre, la piste d'atterrissage de l'hélicoptère
 

Une fois l'hélicoptère reparti, outre la beauté du site c'est surtout le silence qui nous submerge. Un silence tellement assourdissant que nous en sommes tous sidérés en découvrant le panorama devant nous. En une seconde, nous comprenons que cela fait dix jours que nous vivons dans le bruit permanent à bord du Marion à cause de l'air conditionné dans les cabines ou les coursives, des puissants extracteurs d'air sur le pont supérieur, du brassage de l'eau par les hélices à l'arrière du bateau, du ronronnement de la mécanique, du sifflement du vent dans les oreilles, quand ce n'est pas le vrombissement des pales de l'hélicoptère…

D'un seul coup, près de la cabane, plus rien d'autre que ce silence absolu. Un véritable choc qui nous a paralysés durant plusieurs minutes avant que nous puissions profiter d'un paysage aux lignes douces, calmes et apaisantes.


Les environs de la cabane Laboureur

En quelques pas nous rejoignons la cabane Laboureur pour y déposer nos sacs avant d'entamer une randonnée. Plusieurs cabanes sont ainsi implantées sur les îles pour que les jeunes manipeurs puissent s'y ravitailler et s'y reposer lorsque leur tâche les éloigne plusieurs jours de la base. L'aménagement y est forcément très spartiate. Encore que celle-ci dispose d'une grande salle commune, de deux chambres minuscules équipées de châlits et de matelas pour poser son duvet. Des toilettes intégrées à la cabane sont alimentées en eau (sous pression…) grâce à une citerne récupérant l'eau d'une cascade située quarante mètres plus haut. Et c'est bien là le seul luxe car pour l'éclairage, c'est à la bougie…


La cabane Laboureur au fond du fjord
L'implantation de la cabane n'est pas sans charme… les pieds dans l'eau. C'est sans doute pour cette situation exceptionnelle qu'elle a été transformée en mairie il y a quelques années pour que le DisKer (chef de district) puisse y célébrer officiellement le mariage de deux hivernants.


L'appontement dédié à la cabane
Avec notre guide de la ResNat, nous partons pour une randonnée assez physique vers un autre fjord, le bras Baudissin, en suivant le rivage escarpé où l'on a peine à poser le pied dans les éboulis, en passant d'une vallée à l'autre, en parcourant des plateaux humides où l'on risque de s'enfoncer à chaque pas, en traversant des gués ou en longeant de petits lacs.  


Vers le bras Baudissin



Nous atteignons ainsi le but de cette randonnée, une petite cascade qui se jette à l'extrémité du bras Baudissin. Notre accompagnateur déplie alors sa canne à pêche et en quelques minutes attrape une truite fario de fort belle taille qui se défend âprement.


Huit estomacs affamés auront raison de cette belle truite
La lumière décline, il faut songer au retour vers la cabane. Savoir qu'il y aura une truite ce soir au menu nous fait hâter le pas et c'est presque à la nuit tombée que nous retrouvons le confort relatif de la cabane Laboureur.


Retour vers la cabane

Début de soirée devant la cabane
Et la truite pêchée quelques heures plus tôt suffira à apaiser les appétits des randonneurs… On s'est bien régalés !

4 commentaires:

  1. Vous ne chômez pas pendant les escales ! et vous faites bien car ces paysages sont magnifiques sous cette belle lumière. Tant mieux si la météo a été clémente !

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  2. Bonjour,
    Beau reportage qui donnerait presqu'envie d'y aller !
    Savez-vous pourquoi "Cabane Laboureur" ?
    Qui était Jules Laboureur ?

    Je m'interroge parce que c'est mon patronyme, famille originaire de Paimpol depuis 1600 et quelques...
    Merci

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    1. Bonjour Anne-Marie,
      Merci d'avoir lu ce récit d'un voyage inoubliable.

      Je me pose les mêmes question que vous au sujet de Jules Laboureur. Je ne suis pas certain qu'il y ait eu des explications données sur place, ou peut-être étais-je trop distrait pour les avoir entendues ?
      Quelques unes de ces cabanes ont été baptisées du nom d'une personne disparue au cours d'une mission sur les îles. C'est le cas pour deux d'entre elles à l'île Amsterdam (Cab. Antonelli et Ribault).
      Pour Laboureur, j'ai cherché et rien trouvé.
      Beaucoup de marins ou militaires Bretons ont participé aux premières missions des TAAF (infrastructures, météo ou scientifiques) dans ces îles. Et ce n'est pas Yves de Kerguelen de Trémarec qui me démentira !
      Bonne fin de lecture.
      Cordialement. JJM

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    2. Bonsoir.
      Merci de votre réponse... Pouvez-vous me dire environ de quelle époque date cette cabane ? Ceci pour tenter de repérer un Jules Laboureur "compatible" dans notre arbre généalogique.
      Merci encore pour les magnifiques vues de cet endroit méconnu...
      Cordialement
      AM

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