Encore deux journées inédites dans le programme du bateau. Il s'agit de
récupérer trois bouées scientifiques qui ont été mouillées par le Marion
Dufresne en octobre 2016 sur le plateau maritime à une centaine de milles dans
le sud-est des Kerguelen.
Cette diversion dans l'utilisation du navire s'inscrit dans une vaste campagne
océanographique nommée SOCLIM, dont le responsable de programme est à bord.
Sans vouloir rentrer dans le détail, les scientifiques estiment que tous
les mécanismes naturels des océans sont perturbés par le réchauffement
climatique actuel et que l’océan Austral joue un rôle central puisqu'il est le
lien entre l'Atlantique, le Pacifique et l'océan Indien. Grâce à ses eaux
froides, l'océan Austral absorbe une très grande partie du CO² émis dans
l'atmosphère par l’homme. C'est cette capacité d'absorption du CO² qui est
étudiée par SOCLIM au moyen d'une bouée immergée équipée de capteurs piégeant
les particules de CO² et de deux autres bouées munies de collecteurs de micro-organismes
présents dans l'océan.
Bouée scientifique immergée de
la mission SOCLIM sur le pont du Marion Dufresne
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En clair, nous allons assister aux progrès de la science…
Mais avant cela…
Le Marion Dufresne a quitté Port-aux-Français en début de soirée et
navigué toute la nuit vers le sud-est, ce qu'il ne fait jamais habituellement.
Cet écart de route va nous permettre de franchir vers 00h20 le 50ème
parallèle sud et de flirter avec les cinquantièmes hurlants qui sont une zone
météorologique ayant mauvaise réputation dans le monde maritime.
Dans cette zone pourtant reconnue pour ses violentes tempêtes, notre Commandant
a fait le pari osé de profiter d'une fenêtre météo plus calme pour récupérer
les bouées dans les deux journées imparties… et il va réussir !
Mercredi 05 Avril 2017 - 15ème Jour
06h15, les passagers les plus irréductibles (toujours les mêmes, en
fait) se sont rassemblés sur la plateforme d'envol de l'hélico pour assister à
la récupération de la première bouée. L'endroit est idéal car il permet de tout
observer en sécurité sans gêner les manœuvres qui se déroulent sur le pont
arrière.
06h40, le Marion est quasi stationnaire et bouchonne à la surface de
l'eau. La bouée immergée dont on connait la position GPS a été désolidarisée de
sa ligne de mouillage et fait surface assez loin de nous. Elle est bien
difficile à distinguer au milieu des vagues, elle est un tout petit point rouge
très mobile au cœur de l'océan. Malgré la mer agitée, le canot pneumatique est
mis à l'eau avec deux marins à son bord qui vont tenter d'arrimer un long
cordage à la bouée qui dérive. Commence alors une savante manœuvre du Marion
pour s'approcher de la bouée.
Repérage de la bouée
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Mais fixer le déroulement des opérations sur la pellicule s'est avéré une gageure à cause du soleil levant qui a ébloui toute la scène d'une lumière d'hiver, crue et rasante. Contre-jour absolu !
Lentement le Marion Dufresne navigue face au vent, dépasse la bouée puis recule vers elle jusqu'à ce que l'immense portique de manutention puisse la hisser mètre après mètre sur le pont. Les mouvements du bateau rendent la manutention dangereuse car la bouée (qui pèse 300 kg) bat frénétiquement dans tous les sens. Elle reste suspendue un moment dans le vide avant d'être maîtrisée puis posée délicatement et définitivement sur le pont arrière. La manœuvre a duré plus d'une heure et elle a parfaitement réussi. Soulagement général !
La bouée est ramenée lentement
à l'arrière du bateau…
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Puis hissée à bord à l'aide
d'un portique
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Les scientifiques de la mission SOCLIM sont rassurés et satisfaits, ils
ont récupéré la bouée la plus importante de leur campagne et tous les appareils
de mesure qui étaient fixés sur sa charpente.
Sous la bouée, la charpente
supportant les capteurs de CO²
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Il reste encore deux autres bouées plus petites à retrouver, mais le
vent a repris de la vigueur en cours de matinée et il y a maintenant trop de
houle pour remettre le canot à l'eau. Même si les conditions sont loin de
correspondre à la réputation des cinquantièmes hurlants, les opérations sont
arrêtées pour toute la journée. En avant lente, le Marion Dufresne fait des
ronds dans l'eau pour rester à proximité de la zone en attendant l'accalmie.
En milieu de matinée, projection d'un film en salle de conférences. Il
s'agit du "making off", le film sur le film "La Marche de
l'Empereur" de Luc Jacquet, sur les manchots de l'Antarctique. Eh bien,
même à proximité des manchots nous ne vivons pas dans les mêmes conditions de
tournage !
L'après-midi, le Marion navigue toujours à faible vitesse au cœur de
l'océan Indien. Nous sommes plusieurs passagers à contempler sur la coursive ou
l'aileron de passerelle les évolutions des oiseaux du grand large qui accompagnent
le navire en profitant d'un vent bien établi pour glisser dans d'interminables
planés.
Difficile de se lasser d'un tel spectacle. Sans jamais bouger les
ailes, les grands albatros ou les pétrels géants jouent avec le vent pour
suivre le bateau, le rattraper, le dépasser puis revenir en arrière dans un
ballet aérien toujours recommencé, toujours différent. Leur vol majestueux est
fascinant. Toutes ailes déployées, les oiseaux du grand sud sont très élégants
et vraiment magnifiques. Un véritable festival !
Prendre des photos de ces oiseaux en vol demande un matériel spécifique
dont les ornithologues ont la pleine utilité et que je ne possède malheureusement
pas. Plus que la précision du cliché, c'est la perfection du vol de ces oiseaux
que j'ai tenté de saisir. Des sujets très mobiles, un appareil instable, un
éclairage moyen, tout était réuni pour que cela manque de précision…
Le vol majestueux des oiseaux
du grand sud
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Grand albatros et pétrel à
menton blanc
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Pétrel géant et grand albatros
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Grand albatros
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Albatros à sourcils noirs
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Jeudi 06 Avril 2017 - 16ème Jour
En début de matinée, le Marion fait toujours le bouchon sur une mer à
peine agitée. Mais à faible vitesse, le bateau subit davantage le roulis, ce
qui a bien bercé tous les passagers durant la nuit.
La journée commence donc doucement dans l'attente de la récupération
des autres bouées, prévue pour la fin de matinée.
Avant cela, nous
suivons une conférence donnée par un membre des T.A.A.F. et consacrée à la
pêche hauturière dans l'océan Austral : intérêt de la pêche à la légine, mise
en œuvre, quotas, pêche clandestine, prédation des poissons par les orques
directement sur les palangres, commercialisation, etc… Le médecin du bord poursuit
en faisant un court exposé sur les difficultés médicales rencontrées par les
marins à bord de ces chalutiers : isolement, blessures, évacuation vers les
îles, etc…
Dans l'attente de la
récupération de la seconde bouée
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Tout le monde est satisfait : le responsable du programme SOCLIM que
l'on sentait tendu depuis plusieurs jours se décontracte à vue d'œil, l'équipage
qui était à la manœuvre durant de longues heures sur le pont arrière est
soulagé, le Commandant qui n'est pas mécontent d'avoir finement joué avec la
météo et réussi un joli coup.
Bouée immergée pour
récupération de micro organismes
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16h00, projection d'un film sur une rotation du Marion vers les Îles
Eparses, ces mini territoires français, sous responsabilité des T.A.A.F.,
dispersés dans le canal du Mozambique, entre l'Afrique et Madagascar. Avec des
paysages bien différents. Une autre idée de voyage ! Peut-être… ? Un jour… !
17h00, le Marion Dufresne remet en route. Les grands oiseaux nous
accompagnent toujours. Direction la baie d'Audierne dans le sud-ouest de
Kerguelen afin de poursuivre le ravitaillement d'autres cabanes éloignées de
Port-aux-Français.
Un banc de brouillard enveloppe progressivement le bateau, on ne voit
plus guère au-delà de l'étrave.
Retour en vue de terre demain matin…
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