Lundi 10 Avril 2017 - 20ème
Jour
D'abord, l'île Saint-Paul (1ère partie)
Avant de rejoindre l'île
Amsterdam en milieu d'après-midi, il est prévu un arrêt de quelques heures au
large de l'île Saint-Paul.
Depuis que l'île a été incluse en
2006 dans la Réserve Naturelle Intégrale, le bateau n'y fait escale qu'en des
circonstances exceptionnelles dûment justifiées auprès du Préfet des T.A.A.F.
En clair, nous avons beaucoup de chance qu'un arrêt, même bref, ait été inclus
dans le programme de cette rotation.
Saint-Paul est une petite île, ou plutôt un volcan de 8 km² situé par
38°43' Sud (équivalent à Lisbonne dans l'hémisphère nord). A la suite d'un
effondrement brutal, son cratère à la forme circulaire quasi parfaite
communique avec la mer par une passe protégée par deux bancs de cailloux à
fleur d'eau. Ces deux digues naturelles enserrent un accès étroit et peu
profond (2 à 3 m) à peine praticable pour de petites embarcations.
Ces digues ont servi jadis de refuge à quelques naufragés ou à
l'installation éphémère d'une conserverie de langoustes au début du XXème
siècle.
D'accès difficile, Saint-Paul est le refuge de nombreux oiseaux
marins qui nichent sur les pentes très abruptes du volcan. L’introduction
d'animaux, par les navigateurs de passage, a cependant failli causer la
disparition des oiseaux en raison de la destruction des nids et du
prélèvement des œufs et des poussins par de nombreux rats. Un programme
efficace de dératisation à partir de 1990 a permis à la faune aviaire de
progressivement repeupler l’île.
Sans base permanente, Saint-Paul est totalement incluse dans la Zone
de Protection Intégrale de la Réserve Naturelle des T.A.A.F. et cette
protection est plutôt stricte, puisque tout débarquement y est maintenant
interdit (sauf pour quelques missions ponctuelles, sur autorisation du Préfet
des T.A.A.F.).
HISTOIRE
L’île Saint-Paul a été répertoriée sur un portulan pour la première
fois en 1559 par un navigateur portugais, Evert Gysaerths qui l'a baptisée
Nao Sao Paulo. Ensuite, l'île a été occasionnellement fréquentée par des
baleiniers et phoquiers. En 1792, l'expédition de l'amiral français
d'Entrecasteaux qui naviguait à
proximité de l'île, aurait aperçu le volcan en éruption.
En 1842, Saint-Paul et l'île Amsterdam sont redécouvertes par un
capitaine franco-polonais qui en prend possession au nom de la France. S'en
suit un imbroglio diplomatique avec les Anglais qui contestent longtemps la
revendication française sur ces îles désertes.
En octobre 1892, l'aviso français "Le Bourbonnais"
reconnait les deux îles au nom de la France. En 1893, le navire de guerre
"Eure", de retour d'une mission aux îles Kerguelen, confirme la
volonté de la France de conserver ces iles.
En 1924, comme Crozet et Kerguelen, l'île Saint-Paul est rattachée à
Madagascar, alors colonie française, et en 1955, elle devient avec Amsterdam
un district des Terres Australes et Antarctiques Françaises.
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Le jour est à peine levé alors
que le Marion Dufresne est en vue de la petite île Saint-Paul, perdue au milieu
de l'océan Indien, à deux jours de mer de Kerguelen. Dans le petit matin,
Saint-Paul se présente comme un sombre tronc de cône dénudé posé sur la mer. Sinistre
!
Le sud-est de l'île Saint-Paul
au petit matin
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06h30, le Marion est en positionnement dynamique, immobile devant la partie effondrée de la caldeira. Le soleil émerge de l'horizon et éclaire maintenant l'intérieur du cratère et les deux bancs de cailloux qui délimitent la passe, ainsi que le rocher "Quille" en forme de pain de sucre, un peu plus au large.
Encore sous les nuages, le soleil colore le cratère de teintes chaudes
alors que la réalité est beaucoup plus austère. Une fois le soleil passé
au-dessus des nuages, Saint-Paul redevient une île sombre et presque
inquiétante qui ne semble pas se laisser apprivoiser facilement.
Une maigre végétation tapisse difficilement les pentes pierreuses du
volcan et aucun arbre ne pousse sur l'île. Il n'y a que les oiseaux qui
trouvent refuge dans ces terrains difficiles où l'homme n'a jamais pu s'installer
durablement.
Mouillage devant la caldeira
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Le cratère effondré de l'île Saint-Paul
et les deux digues de cailloux
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08h40, les visiteurs sont conviés à un survol de l'île en hélicoptère.
Waouh ! Ce survol donne la mesure de l'île et de son relief. Depuis le sommet
du cratère, les flancs extérieurs du volcan descendent d'abord en pente douce
avant de plonger brutalement dans la mer. A part la caldeira, tout le reste des
côtes est absolument inabordable tant la mer bat furieusement au pied des
falaises de basalte. Le contraste est saisissant entre l'écume bouillonnante et
le noir de la roche.
A 300 mètres d'altitude, la vue sur le volcan est spectaculaire.
Malheureusement, une pluie fine s'est invitée juste le temps du vol en
hélicoptère et est venue ternir la vue dominante sur le cratère. Dommage pour
les photos !
Retour à bord du Marion
Dufresne
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Les membres d'équipage hors quart ont aussi profité de cet arrêt pour
mettre plusieurs lignes de pêche à l'eau. Les prises ont été bonnes et nous aurons
l'occasion d'y goûter plus tard…
Quelques personnes de la Réserve Naturelle et de l'I.P.E.V. ont
débarqué sur l'île en canot pneumatique pour une rapide inspection des lieux et
également une vérification de l'état du matériel scientifique en place. Ce sont
ces interventions qui ont justifié l'escale.
Le rocher Quille
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11h15, le Marion appareille juste après le retour du canot pneumatique.
Et bien sûr, c'est au moment du départ que les nuages disparaissent et que le
soleil est de retour. Trop tard ! Néanmoins, nous profitons d'un bel éclairage
sur l'île alors qu'elle disparait peu à peu dans le sillage.
En quittant l'île Saint-Paul
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LES
FRERES BOSSIERE (Suite)
Alors que les élevages de moutons qu'ils ont tenté de développer aux
Kerguelen sont quasiment moribonds, l'un des frères Bossière, René, ne
renonce pas et crée encore une nouvelle société - "La Langouste
Française" - pour implanter une
pêcherie et une conserverie de crustacés sur l'île Saint-Paul.
En 1928, une trentaine de marins-pêcheurs originaires de Concarneau
appareillent du Havre et arrivent cinquante jours plus tard à Saint-Paul, une
île volcanique où il n'y a strictement… rien ! Pour ces pionniers, tout est à
construire : les logements, l'usine, la conserverie, etc... Néanmoins,
la pêche est prometteuse dès la première campagne. L'année suivante, une
centaine de personnes, des pêcheurs et des Bretonnes reconnues pour leur
savoir-faire en matière d'emboitage des produits de la mer, reviennent à
Saint-Paul accompagnés d'ouvriers malgaches.
En mars 1930, après la fin de la seconde campagne de pêche, six des
Bretons (dont une femme enceinte) et un Malgache acceptent de rester sur
l’île pour assurer le gardiennage des installations durant l'hiver. A
l'évidence, sur un volcan où ne poussent ni légumes, ni fruits, les stocks de
nourriture principalement composés de boites de bœuf en gelée sont
notoirement insuffisants et manifestement inadaptés. Les Bretons consentent
néanmoins à hiverner contre la promesse qu'un bateau vienne les ravitailler
en vivres frais dans les trois mois suivants.
Les semaines passent... Une petite fille naît en mars, qui ne vivra
que deux mois ; puis le père de l’enfant décède à son tour.
L'automne arrive et le ravitaillement n'est toujours pas là.
L'opérateur radio est parti il y a longtemps et personne ne sait faire
fonctionner l'appareil de radiophonie. Sans moyen de communication avec
l'extérieur, la mélancolie, l'inquiétude, le désespoir s'installent. Par
mesure d'économies, les banquiers et nouveaux associés de René Bossière
refusent l'envoi du bateau promis. L'horizon reste désespérément vide...
C'est le début de l'enfer. Le scorbut, frappe d'abord les plus
faibles. Des sept Bretons, isolés et abandonnés, quatre décèdent. Les trois
autres seront sauvés in-extremis par la relève qui revient sur l'île le 6
décembre 1930 (neuf mois plus tard !), et qui découvre là, ceux qui sont déjà
"Les Oubliés de l'île Saint-Paul".
Malgré l'indignation que ces évènements provoquent en France, la
détermination de René Bossière n'est toutefois nullement entamée. Une
centaine de Malgaches et une vingtaine de Bretons entament une nouvelle
campagne de pêche. Mais en mars 1931, quarante-quatre employés Malgaches,
nourris quasi exclusivement avec du riz blanc meurent les uns après les
autres de malnutrition et du béribéri (carence en vitamine B).
Ce nouveau drame vire au scandale en Métropole et contraint René
Bossière à rapatrier les bergers des Kerguelen et les pêcheurs de Saint-Paul
en avril 1931, sonnant la fin définitive de l'exploitation commerciale des îles
australes.
Les humbles ou les pauvres, marins bretons ou malgaches, eux
n'étaient pas venus là pour faire fortune mais juste pour desserrer l'étau de
la misère qui les étreignait dans leur région d'origine. Sans parler des
dommages collatéraux subis par leurs familles dévastées, les pêcheurs bretons
et les ouvriers malgaches ont payé au prix fort les ambitions des frères
Bossière : une soixantaine de morts ou disparus !
Un procès est intenté en 1931 contre la société "La
Langouste Française". On fait
miroiter des indemnités aux familles sachant que les caisses sont vides
depuis longtemps. Au bout de cinq ans de procédure, la société est déclarée
responsable et est condamnée à payer aux victimes des dédommagements dont on
sait d'avance qu'ils ne seront jamais versés…
L'enchaînement de ces catastrophes et le lourd passif généré par ces
opérations hasardeuses entrainent la liquidation des différentes sociétés en
1936 et en conséquence, la suppression des droits de concession est entérinée
par le gouvernement en 1937.
Alors ! Comment comprendre que ces territoires lointains et inhospitaliers, constamment battus par des vents fous, aient pu nourrir pendant près de quarante ans les rêves des frères Bossière quand à l'évidence ces terres étaient complètement stériles ?
Quelle motivation a bien pu les animer aussi longtemps ? Le goût de
l'aventure, l'amour du risque, la soif de l'or, l'ivresse de la gloire ? Qui
peut savoir ! Leur ambition et leur obstination, était-ce du cynisme ou de
l'inconscience ? Ils ont voulu créer un empire dans des lieux parmi les plus
reculés de la Terre, mais l'isolement extrême et le climat impitoyable ont eu
raison de leurs choix industriels pour le moins hasardeux et malencontreux !
Ils croyaient au développement économique de ces territoires et, à
tort ou à raison, y ont consacré toute leur vie. Certes, leur utopie a sans
aucun doute provoqué en 1893 le sursaut du gouvernement pour que ces terres
timidement revendiquées deviennent réellement françaises et le restent
définitivement. Depuis le début du XXème siècle et en haut lieu, les frères
Bossière ont longtemps été considérés comme des explorateurs, des pionniers
des Terres Australes. A ce titre, les T.A.A.F. ont émis plusieurs timbres à
leur effigie ainsi que des timbres liés aux installations créées à Kerguelen
et à Saint-Paul ou aux bateaux qu'ils avaient affrétés pour leurs
exploitations.
Pourtant cette reconnaissance officielle est entachée de lourdes
pertes humaines, difficilement occultables.
Déshonorés et ruinés, les deux frères décédèrent à six mois
d'intervalle en 1941, Henry à Mortagne au Perche (Orne) et René dans un petit
village de Seine-Maritime portant le joli nom de Touffreville-la-Corbeline.
Depuis juillet 1990, ils reposent ensemble dans le cimetière de ce village.
Deux urnes contenant de la terre de Kerguelen et de Saint-Paul furent
déposées à cette époque dans la sépulture. Une épitaphe est gravée dans le
marbre de la pierre tombale : "Que leur soit légère la terre ici
apportée des îles australes".
Pas sûr que les victimes auraient apprécié !
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Merci pour ce beau rappel de l'histoire des "Oubliés de l'île Saint-Paul".. Dominique et Maryvonne "Petite nièce et fille de Julien Le Huludut..
RépondreSupprimerBonsoir, Merci d'avoir consulté cette page de ce blog. En avril 2017, être aussi près de l'île Saint-Paul était pour moi un véritable privilège. L'Histoire y fut tragique, vous le savez mieux que personne. Je crois que vous vous êtes battues toutes les deux pour votre oncle et père (et ses compagnons) ne soient pas oublié une seconde fois. Toute mon admiration et mon respect pour ce que vous avez réalisé pour que la mémoire perdure. Cordialement. JJM.
SupprimerBonjour, l'histoire de ST-Paul a retenu mon attention car je suis le petit-fils d'un marin breton dont l'histoire m'a été rapportée ma grand-mère.
RépondreSupprimerMon grand-père aurait fait naufrage sur une de ces 2 îles perdues et y serait resté longuement avant d'être secouru. D'après les dires de ma grand-mère l'équipage (?) n'aurait dû sa survie que grâce à une vache sauvage (sic) qu'il aurait abattue. Il(s) se seraient abrités dans une 'cabane' et auraient participé activement à leur sauvetage longtemps après.
Mon grand-père s'appelait Eugène Renaud, était natif du Havre et était pêcheur breton, peut-être à Audierne où il serait revenu 'longtemps après'...
Si vous pouviez me donner des renseignements supplémentaires, je vous laisse mes coordonnées internet :
joel.becheler@wanadoo
Kenavo comme l'on dit dans notre Bretagne.