21 Mai 2013
De Plymouth à Tenerife
Deux ans plus tard...
Enfin, le souhait émis au pied des remparts de Saint-Malo en 1974 est exaucé ! Je suis à bord de Glénan avec huit autres équipiers pour participer à la première étape de la Course des Grands Voiliers 1976.
De Plymouth à Tenerife
Deux ans plus tard...
Enfin, le souhait émis au pied des remparts de Saint-Malo en 1974 est exaucé ! Je suis à bord de Glénan avec huit autres équipiers pour participer à la première étape de la Course des Grands Voiliers 1976.
Et ce
n'est pas une édition ordinaire ! Elle commémore le bicentenaire de
l'Indépendance des Etats-Unis et doit se dérouler en quatre étapes autour de
l'Atlantique Nord, sur le parcours Plymouth (U.K.), Tenerife (Canaries), Îles
Bermudes, New-York et retour à Plymouth. La plus belle étape étant bien sûr entre
les Bermudes et New York, ainsi que la fastueuse parade sur l'Hudson clôturant
les festivités du bicentenaire.
Dans
les derniers jours d'Avril, Glénan et son équipage appareillent de Cherbourg et
traversent la Manche en diagonale pour rejoindre Plymouth en Cornouaille
anglaise. Nous ne sommes pas les premiers arrivés !
Kruzenshtern
est déjà là au mouillage, dominant tous les autres navires qui sillonnent la
rade, la coque aisément reconnaissable grâce à ses faux sabords, dominée par sa
haute mâture. En revoyant ce bateau, je retrouve les impressions ressenties à
Saint-Malo deux ans plus tôt, fasciné par un aussi grand navire à voiles.
Fin Avril 1976 - Kruzenshtern en rade de Plymouth (U.K.) - (Diapositive) |
Bon
nombre de concurrents sont déjà amarrés dans le mythique bassin de Millbay Dock
afin d'être à la disposition du comité de course quelques jours avant le
départ. En dehors de Kruzenshtern, seuls trois autres grands voiliers
participent à cette première étape : Tovaritch, également soviétique, le
polonais Dar Pomorza et un plus petit bâtiment norvégien, Christian Radich.
Millbay Dock à Plymouth - A droite, le trois-mâts norvégien Christian Radich - (Diapositive) |
Millbay Dock - Au fond, Tovaritch, trois-mâts soviétique - (Diapositive) |
Millbay Dock - Tovaritch - (Diapositive) |
Pendant
plusieurs jours le bassin de Millbay Dock déborde d'activité. Les équipages s'affairent
pour préparer au mieux leur voilier. Cela donne lieu à quantité d'échanges
entre bateaux. L'ambiance est détendue. Les visiteurs, les curieux déambulent
sur les quais ; à l'évidence, nous les faisons rêver. La veille du départ, par
un après-midi maussade, tous les équipages (et ça fait du monde), sont emmenés
en bus et invités dans une base de la Royal Navy pour une gigantesque
"party" en plein air. Subitement le soleil réapparait, tous les
uniformes, tous les chapeaux du royaume sont là, les équipiers en jeans aussi…
Scones and tea pour tout le monde ! Il n'y a que les Anglais pour réussir des
trucs pareils !
Couverture du programme de la Course des Grands Voiliers 1976 Kruzenshtern toujours ! |
Le
dimanche 2 Mai 1976, une quarantaine de voiliers répartis en trois classes
s'élancent de la rade de Plymouth et mettent le cap vers Tenerife. En attendant
le coup de canon libérateur de notre classe, nous pouvons admirer les quatre
plus grands voiliers prendre un départ prudent, toutes voiles dehors.
J'attendais
cela depuis deux ans, je suis comblé, c'est absolument magnifique. Tovaritch,
joli trois mâts soviétique, s'élance voilure déployée à quelques encablures de
Glénan. Magique !
02 Mai 1976 - Tovaritch au départ de la course - (Diapositive) |
C'est
l'ambiance des grands départs de course, mais à la sauce britannique… Toutes
les familles sont de sortie sur tout ce qui peut flotter, beaux
voiliers et grosses vedettes à moteur, bien sûr, mais aussi pneumatiques,
kayaks, etc… Ces gens nous accompagnent aussi loin qu'ils le peuvent en nous
faisant de grands signes ou en criant leurs encouragements. Une vedette à
moteur va d'un bateau à l'autre pour immortaliser l'instant. Ambiance ! Tout cela se croise, se
double avec courtoisie mais crée un joli clapot bien gênant lors du départ.
02 Mai 1976 - Glénan sur la ligne de départ Cliché Beken of Cowes |
Coup de
canon ! La flottille s'élance, cap sur les Canaries ! Le ronflement des
hélicoptères ajoute encore au stress du départ. Les bateaux accompagnateurs
nous suivent aussi loin que possible, puis font peu à peu demi-tour. Dernier
signe de la main, dernier cri, enfin le silence ! Nous pouvons maintenant
nous consacrer exclusivement à la course et filer vers le Sud.
Dix
jours et 1 500 milles plus tard, Glénan franchit la ligne d'arrivée située
devant le port de Santa Cruz de Tenerife, huitième en temps réel toutes classes…
Mais comme la moyenne d'âge de l'équipage est supérieure à ce qu'autorise le
règlement de la course, le jury déclare Glénan "disqualified", terme
particulièrement infâmant pour nos oreilles s'il est traduit trop vite. Il
faudra des trésors de persuasion pour convaincre ce jury de maintenir Glénan
deuxième en temps compensé, mais avec une annotation équivalente à "hors
classement", sauvant ainsi les apparences et l'honneur de la France dont
Glénan était l'unique représentant.
Nous
avions effectivement bien regretté que la France, en tant que nation maritime
et partie prenante dans l'Indépendance des Etats-Unis ait été officiellement et
remarquablement absente des commémorations de ce bicentenaire qui la concernait aussi…
Cependant,
l'équipage est tout à la joie de son palmarès après une course bien négociée
malgré les difficultés météorologiques en traversant le golfe de Gascogne et un
sérieux coup de vent au large du cap Saint-Vincent au sud du Portugal. Pour
moi, c'est ma première longue expérience de la haute mer sur un bateau assez
physique. J'ai beaucoup appris sur ce parcours, le bilan est positif et… je
suis prêt à recommencer ! De cette course naîtra sans doute mon goût pour les
longues traversées…
Pour la petite Histoire
Il faut
savoir que la plupart des grands voiliers "historiques" étaient à
l'origine des cargos à voiles. A partir du milieu du XIXème s.,
les lois du commerce mondial (déjà !), ont bouleversé l'architecture navale,
pour lancer des voiliers transportant le plus rapidement possible le maximum
de fret possible avec un équipage le plus réduit possible. Les coques se sont
allongées et affinées, les ponts ont perdu leurs superstructures
encombrantes, les voilures se sont divisées pour être plus facilement
manœuvrables, pour gagner en vitesse et en sécurité. C'est ainsi que sont nés
les "clippers", aux carènes élancées, au gréement divisé en trois,
quatre et même cinq mâts pour réaliser de longs transits entre l'Europe et
l'Amérique du Sud, l'Australie ou l'Asie selon les nécessités de l'époque.
C'était bien avant le canal de Panama et un nombre important de ces clippers ont
payé un lourd tribut en franchissant le Cap Horn.
La vapeur
sonnera le glas de la marine en bois. Seuls les armateurs allemands
continueront à croire au fret à la voile jusqu'au milieu des années 1930. La
seconde guerre mondiale décimera la flotte des cargos à voiles
dont les survivants seront récupérés par les vainqueurs au titre des prises
ou dommages de guerre.
En 1974,
il n'en reste plus que quelques exemplaires. Les derniers rescapés
sillonnent toujours les mers mais avec une mission différente, la pédagogie
et l'apprentissage de la mer aux jeunes marins.
Parmi ces
voiliers "historiques" :
Kruzenshtern, ex Padua, cargo allemand construit en
1926, devenu soviétique en 1946. C'est le dernier bateau navigant de
l'ancienne compagnie allemande P-Liners. Cette compagnie armait également le
Passat, transformé en musée à flot à Lübeck ; le Peking, d'abord transformé en musée
à flot au South Street Seaport de New York puis ramené en Allemagne en 2017 pour y être restauré et redevenir musée à flot à Hambourg en 2021 ; le Pommern, devenu bateau musée
à Mariehamn (Finlande) ; le Pamir disparu dans l'Atlantique en 1957 lors d'un
cyclone.
Tovaritch,
ex Gorch Fock, voilier-école
de la Kriegsmarine construit
en 1933, sabordé en 1945, renfloué et devenu soviétique en 1947.
et ses
sister-ships :
Sagres II,
ex Albert Leo Schlageter, récupéré par
les Américains, vendu au Brésil puis revendu au Portugal en 1961 (Ecole
Navale).
Eagle,
ex Horst Wessel, prise de guerre. Affecté depuis 1946 à l'U.S. Coast Guards.
Mircea, construit
en 1938 pour la Roumanie qui le conservera après la guerre sans vraiment le
faire naviguer. Ce n'est qu'après 1975 qu'il s'aventurera au-delà de la Mer
Noire.
Dar Pomorza, ex Prinzess
Eitel Friedrich construit en Allemagne en 1909. Donné à la France en 1920.
Rebaptisé Colbert, il ne sera jamais intégré à la Marine Nationale. Il est
revendu à la Pologne en 1929.
Staatsraad
Lehmkuhl,
ex-Grossherzog Friedrich August, sister-ship du précédent, lancé en Allemagne
en 1914, saisi par les Anglais et revendu à la Norvège qui l'utilise toujours
(armement privé).
Christian
Radich,
construit en 1937 en Norvège, initialement navire-école de la Marine
Marchande norvégienne, navigue maintenant sous armement privé.
Au fil des années et surtout des effets de la vétusté ou des coûts d'entretien, certains de ces bateaux ne furent plus en état de naviguer ou sont passés pas loin de la disparition :
Tovaritch, après la
dislocation de l'U.R.S.S., est passé en 1991 sous pavillon ukrainien, mais a
été désarmé en 1993 en raison d'un manque de moyens nécessaires à son
entretien. En 1999, le bateau, en mauvais état, est transporté en Allemagne
pour y subir des travaux de réparations sans pouvoir jamais renaviguer. Il
sera transféré à Stralsund (Allemagne) en 2003 pour être transformé en bateau
musée. Rebaptisé, il retrouve son nom d'origine : Gorch Fock.
Dar Pomorza, le bateau
polonais est amarré comme bateau musée depuis 1983 à Gdynia (Pologne).
En 2013, Sagres II, Eagle, Mircea, Staatsraad Lehmkuhl, Christian Radich et quelques
autres naviguent encore.
Pour en revenir à Kruzenshtern, il est basé à Riga en Lettonie en 1961, puis
transféré en 1981 à Tallin en Estonie. Après l'écroulement du bloc soviétique
et l'indépendance de l'Estonie en 1991, il est affecté en Russie à l'Académie
d'Etat des Pêches de la Baltique. Il a pour port d'attache actuel Kaliningrad
(enclave russe entre la Pologne et la Lituanie). Outre son activité
d'apprentissage des cadets de la pêche, il embarque aussi des passagers pour
renflouer la caisse de bord.
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Bonjour. Mon père avait participé à la course en 76 sur son 3 mats Artemis. Auriez vous des photos ? Merci. Ingrid
RépondreSupprimerBonjour,
SupprimerJe n'ai malheureusement pas de photos de ce navire. Dans mes archives, j'ai retrouvé le programme officiel de la Tall Ships Race de 1976 où Artemis figure bien sur la liste des participants pour les 4 étapes de cette course, ainsi que le nom de son propriétaire, Nicholas Dekker. C'est tout ce que je sais. JJM.