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SURTSEY et les ÎLES VESTMANN


Mardi 03 Juin 2014


Le ciel a du mal à s'éclaircir ce matin. De gros nuages stagnent sur la côte. Durant quelques instants, il est possible de voir le sommet du glacier Myrdalsjokull et de son voisin l'Eyjafjallajokull, qui recouvre le célèbre volcan ayant provoqué tant de perturbations dans le trafic aérien en avril 2010. Deux grandes taches lumineuses dans un ciel chargé.
 
La côte sud de l'Islande est dépourvue d'abris naturels, aussi le FRAM a-t-il navigué toute la nuit et toute cette matinée en mettant directement le cap sur Surtsey, l'île la plus au sud-ouest du pays. Cette île est apparue sans prévenir, un matin de novembre 1963, sortant de la mer en bouillonnant. L'éruption sous-marine dura plus de quatre ans formant une nouvelle île de basalte et de cendres noires d'environ 2.7 km², mais les érosions marine et éolienne en ont quelque peu diminué la surface depuis 50 ans.
 

La côte Ouest de l'île de Surtsey

Vu du pont du FRAM, c'est sombre et guère accueillant. Cette île est sous très haute protection. Seuls, ne débarquent que quelques scientifiques venant y étudier comment la vie peut apparaître dans une nature vierge et hostile : d'abord quelques mousses ou lichens, des insectes et récemment quelques couples de macareux. Et le périmètre de protection est étendu puisque le FRAM reste à bonne distance, nous laissant un peu sur notre faim.
 

L'île de Surtsey et ses étranges figures psychédéliques
façonnées par le vent sur les cendres volcaniques

Néanmoins, ce tour de Surtsey est plutôt inédit dans un programme de croisière et enrichit notre connaissance du Monde. Nous sommes sans doute des privilégiés car je doute fort qu'il y ait beaucoup de navires qui viennent se perdre dans un endroit aussi isolé.
 
Le bateau fait ensuite route au nord-est vers les îles Vestmann, un archipel d'une quinzaine d'îlots inabordables, sauf Heimaey, la plus grande de ces îles.
 
Heimaey est pour moi l'un des temps forts de cette croisière. Cette île et son port sont en effet liés aux meilleurs moments de mes vieux exploits nautiques. La première fois était à la suite d'un changement d'équipage à Reykjavik. J'arrivais ici en ferry (pas vraiment un exploit…), et c'était en 1977, quatre ans après l'éruption qui avait à moitié enseveli la ville. Une luminosité exceptionnelle valorisait alors les couleurs jaune, rouge et noir du volcan dont la masse semblait encore écraser le village. Impressionnant !
 

L'entrée du port d'Heimaey...

Ce volcan était entré en éruption en janvier 1973, surprenant la population dans son sommeil, qui avait été évacuée dans l'urgence à bord des chalutiers restés au port à cause d'une tempête.  L'éruption avait également endommagé un câble électrique relié au continent. Sans électricité sur l'île, il avait également fallu évacuer les stocks de poissons vers l'extérieur. Et enfin, les Islandais ont gagné le pari insensé de pomper l'eau de mer pour arrêter la coulée de lave qui menaçait d'obstruer l'entrée du port, ce qui aurait été fatal à la survie de l'île, complètement tributaire de la pêche.
 
... et son chenal étroit et tortueux

Arriver sur cette île, puis gravir le volcan quatre ans après un tel cataclysme, ça laisse des souvenirs ! Et que sont quatre ans à l'échelle géologique de la Terre ? Brrr !
 
La seconde fois était en 1979, et cette fois-ci à la voile sans escale depuis Paimpol. Une arrivée en plein passage de front froid, sous des rafales violentes perturbées par les hautes falaises, à tirer des bords insensés dans un chenal sinueux et étroit avec un voilier sans moteur… Egalement impressionnant !
 
Aujourd'hui, du pont du FRAM qui pénètre dans le port, je revois immédiatement tout cela. Les hautes falaises à droite, l'étroit chenal puis le champ de lave noire à gauche, le tout toujours dominé par l'Eldfell, le volcan toujours rouge et noir, toujours impressionnant. Seule, l'agglomération semble s'être étendue.
 
A raser la falaise !

Nous sommes en escale à Heimaey pour l'après-midi, largement le temps de gravir le volcan Eldfell. Avant l'ascension, il faut traverser le champ de lave qui a enseveli plus de 400 maisons. Mais en presque 40 ans, les choses ont un peu changé. Ce champ de lave a été "domestiqué". Je me souviens de sentiers étroits, serpentant au gré de cette lave noire figée dans des formes fantasmagoriques, menaçantes et encore fumantes. Dans le contre-jour, c'était flippant !
 
Aujourd'hui, plus rien de tout cela, le champ de lave est toujours là, bien sûr. Mais l'érosion naturelle ou l'action de l'homme ont fait leur œuvre, des lupins bleus (plante invasive en Islande), ont réussi à y pousser, la mousse vert-de-gris gagne du terrain. Une large route bitumée dessert des carrières de matériaux et mène à une… déchèterie ! Eh oui, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Le tri sélectif peut mener à ce genre d'aberration !
 

A l'assaut du volcan Eldfell

Le volcan lui, est resté le même, une imposante masse de scories noires et rouge brique que nous gravissons lentement. Au sommet, les fumerolles et les odeurs de soufre ont disparu, mais de temps à autre nous sommes entourés d'air tiède dégagé par le sol. A quelques endroits, il est impossible de poser la main sur la pierre encore chaude.
 

La pente du cratère

Nous sommes arrivés aux portes des Enfers. Le volcan assoupi respire encore faiblement.  Pourvu qu'il ne se réveille pas sous nos pieds ! De son sommet, nous dominons le champ de lave, la ville, le port et toutes les îles Vestmann. Un joli spectacle bien mérité.
 
Heimaey vue de haut
400 habitations sont ensevelies sous le champ de lave.
Le FRAM est à gauche de la photo

L'escale se termine dans la soirée. Le commandant du FRAM nous fait preuve de toute son expérience en faisant faire à son bateau un demi-tour sur place dans le petit port, la proue et la poupe à toucher les quais opposés. En rasant les falaises qui bordent le chenal, le FRAM quitte sa dernière escale vers Reykjavik, le terme de sa croisière.
 
Une fois de plus, la croisière aurait pu durer bien plus longtemps. Les Vestmann disparaissent derrière l'horizon. Petit coup de blues passager…
 

Le quart d'heure culturel
 
Liens entre France et Islande (3/3)
 
D'abord médecin, Jean-Baptiste Charcot était surtout connu comme scientifique et explorateur des régions polaires. Au tout début du siècle dernier, il avait avec son trois-mâts "Pourquoi pas ?" exploré et cartographié la Péninsule Antarctique (là même où nous étions il y a trois ans !), où il retournera une seconde fois en 1908.
 
Toujours avec le "Pourquoi Pas ?", équipé comme navire de recherche avec laboratoires et bibliothèque, il s'est consacré ensuite à la découverte et l'exploration des côtes du Groenland, pour y mener de nombreuses expéditions scientifiques pluridisciplinaires. Ces voyages vers les régions arctiques l'ont amené à faire plusieurs escales à Reykjavik où il était notablement connu.
 
En septembre 1936, de retour du Groenland, il fait de nouveau escale dans la capitale islandaise pour réparer la chaudière du bateau avant de rentrer en France. Le navire est fatigué, la chaudière aussi, les réparations se prolongent, le report de l'appareillage devient critique à cause des conditions météo difficiles dans les mers septentrionales à l'automne.
 
Enfin le 15 septembre, le "Pourquoi Pas ?" quitte à la voile le port de Reykjavik. Rapidement, les conditions météo se dégradent. Au large de la presqu'île de Reykjanes, le vieux bateau est confronté à une tempête cyclonique qu'il ne peut étaler même en s'aidant de la chaudière à vapeur, à bout de souffle.
 
Charcot décide alors de faire demi-tour et de se réfugier à Reykjavik. A la merci des éléments déchaînés et d'instruments de navigation perturbés par les anomalies magnétiques de la région, le "Pourquoi Pas ?" dérive inexorablement de sa route sans que l'équipage ne s'en rende compte ou ne puisse maîtriser la situation. En cours de nuit, le vent forcit encore, les voiles sont mises en lambeaux, puis l'un des mâts s'abat en brisant les antennes radio, interdisant l'émission de tout signal de détresse.
 
Au petit matin du 16, le "Pourquoi pas ?" talonne sur des roches au large du Borgarfjördur, dans le nord-nord-est de Reykjavik, et sombre corps et biens sur les récifs de Hnokki. 40 hommes y ont laissé la vie, 23 corps furent repêchés dont celui de Charcot. Il n'y eut qu'un seul survivant, le timonier, qui a pu relater ultérieurement les circonstances exactes du naufrage.
 
Les sciences polaires venaient de perdre un de leur meilleur défenseur. L'humanisme et l'autorité scientifique de Charcot étaient unanimement reconnus et sa disparition avait suscité une vive émotion dans le cœur des Français, au point que le pays lui fera des obsèques nationales.
 
La perte tragique du "Pourquoi Pas ?" avait également marqué les Islandais qui connaissaient bien le bateau. Lors d'un service commémoratif à Reykjavik en hommage à Charcot et son équipage, chaque boutique de la ville était restée close. C'est la seule fois que cela s'est produit dans l'histoire du pays.
 
J-B Charcot et le "Pourquoi Pas ?" sont restés durablement gravés dans la mémoire des Islandais. Quarante et un ans après le naufrage, en 2007, l'Université d'Islande a ouvert dans ses locaux de Sandgerdi (près de l'aéroport de Keflavik) une exposition permanente très intéressante baptisée en français "L'Attraction des Pôles". Cette expo est consacrée à la vie et à l'œuvre scientifique du commandant Charcot, avec panneaux explicatifs et documents iconographiques en islandais et en français, des objets et une jolie maquette du "Pourquoi Pas ?". Un film en français (sous-titré en islandais) complète cette présentation émouvante. En 2014, cette exposition est toujours visible.
Et au Sea Baron, le restaurant que nous avions fréquenté le premier soir à Reykjavik, parmi le bric à brac disposé sur les murs figurent en bonne place, un drapeau français, un portrait de Charcot et un grand panneau explicatif en français et en islandais sur les circonstances du naufrage et les cérémonies d'hommage qui ont suivi.


   

 

1 commentaire:

  1. Revenir sur le Fram dans de telles conditions "quelques" années après tes premières expériences doit être étrange et prenant. J'aime beaucoup aussi ton quart d'heure culturel quotidien! Encore merci pour ton récit si vivant et les photos.

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