Après
l'appareillage d'Ilulissat, le Soléal a contourné l'île Disko par le nord et ce
matin le bateau fait le tour de la vaste presqu'île de Qaarsut en la laissant à
tribord.
Dès
le début de matinée, la météo continue de nous favoriser, vent nul et ciel lumineux
sans nuage, seule la température nous rappelle où nous sommes.
05h30,
le Soléal navigue vers l'est, c'est l'embrasement total du ciel et cela dure
longtemps. Vers l'arrière, c'est le rose qui domine. Impossible de se lasser
d'un tel festival de couleurs. Il faut savoir se lever tôt pour mériter cela.
Petit matin au Groenland |
Encore
beaucoup d'icebergs sur la route, énormes et de formes diverses : cubiques,
ronds, plats, pointus, creux, en forme d'arche, tous aussi volumineux les uns
que les autres et surtout, tous plus dangereux les uns que les autres. Ce que
l'on voit au-dessus de l'eau n'est rien à côté de ce qu'il y a en dessous.
A
cette heure, l'ambiance est calme à la passerelle ; calme mais attentive. Il y
a en permanence trois personnes de quart : un lieutenant breveté de la Marine
Marchande, un jeune élève-officier qui complète à bord sa formation prodiguée
par l'ENSM (Ecole Nationale Supérieure Maritime, ex Hydro) et un marin
philippin qui surveille l'horizon en permanence derrière ses jumelles lorsque
le bateau est en pilotage automatique. Cela n'empêche pas le lieutenant et
l'élève de scruter également la mer. Et dans la zone où nous naviguons cette
veille est d'autant plus attentive que l'horizon est largement encombré par des
gros icebergs bien sûr, mais surtout par une multitude de growlers beaucoup
plus sournois ; il s'agit de petits blocs de glace dont les plus plats émergent
à peine. Ils sont souvent difficiles à repérer et, malgré leur taille
relativement modeste, ils n'en sont que plus dangereux.
Bien
sûr, les officiers de quart ont à leur disposition plusieurs écrans radars
réglés à des échelles différentes. La lecture de ces écrans n'est pas évidente au
premier abord mais avec un peu d'habitude on y décèle beaucoup d'indices
extérieurs quelle que soit la météo : bateaux, grains de pluie, avions à haute
altitude et même les plus petits des growlers flottant à la surface de l'eau. Mais
la surveillance et l'attention restent essentielles.
09h20,
Le Soléal jette l'ancre à Akulleq, dans un étroit passage entre deux îles de la
baie d'Ummannaq, face à un site très minéral digne de la planète Mars : une
haute colline ocre jaune ou orange, couleurs plutôt déconcertantes au cœur de
l'austère Groenland et rendues encore plus vives sous le franc soleil.
Les
passagers ont rendez-vous à l'arrière du pont 3 pour une ultime vérification
des gilets de sauvetage et le pointage des cartes individuelles avant de
descendre au pont inférieur, la "marina" pour embarquer sur les
Zodiac™ avec l'aide efficace de marins qui assurent la sécurité.
Nous
atterrissons sur une minuscule plage de sable ocre où nous attendent les guides
d'expédition, autrement appelés "naturalistes". Eux, portent une
parka jaune très visible et sont armés de carabines pour le cas où un ours
polaire deviendrait trop menaçant. Rassurant ! Les naturalistes sont là
pour baliser l'itinéraire et surtout apporter aux passagers toutes les
informations nécessaires à la bonne compréhension du site.
Akulleq : Planète Mars ou Islande ? |
Nous
grimpons aussitôt par une trace étroite taillée dans une roche très friable qui
se désagrège rapidement sous nos pas. Cela monte très fort dès le début de la
rando et la progression est rendue difficile à cause du terrain instable de
pierres et de sable grossier.
Dans
l'air froid chacun monte à son rythme jusqu'à un replat d'où nous avons une
jolie vue sur les alentours : falaises, sommets encadrant un bras de mer où de
gros icebergs semblent échoués et en arrière plan, la calotte polaire.
Dans
le moindre repli du terrain, profitant d'une faible couche d'humus, des
lichens, mousses ou saxifrages tapissent le sol. Les arbres locaux, des saules
arctiques, avec leurs branches rampantes culminent à une dizaine de centimètres
de hauteur. C'est déjà l'automne et leurs feuilles minuscules commencent à
rougir. Dans ces régions difficiles, la maigre végétation n'a que peu de temps
pour pousser et profite du moindre abri et du jour permanent de l'été pour
emmagasiner un peu de chaleur afin de croître aussi rapidement que
possible.
Le mouillage d'Akulleq |
Le
paysage, l'atmosphère cristalline, le silence se prêtent naturellement à la
contemplation. Une telle escale est toujours trop courte… Il faut redescendre
encore plus prudemment qu'en montant.
Nous
rejoignons le bord vers 12h00. Le Soléal quitte Akulleq alors que nous n'avons
pas terminé de déjeuner. Nous naviguons dans le fjord d'Ummannaq largement
encombré d'icebergs volumineux ; là encore, des monstres aux formes improbables
qu'il vaut mieux savoir éviter !
Il
y a à bord un pilote des glaces québécois Raymond J. qui, comme nous, a
embarqué à Kangerlussuaq. Il n'interviendra officiellement qu'à partir du
Canada, mais cela ne l'empêche pas de faire part de son expérience pour
conseiller le lieutenant de quart quant à la route à suivre à travers les
champs d'icebergs que nous traversons. Il est pilote dans le port de Montréal,
mais a passé la plus grande partie de sa carrière maritime dans tout l'Arctique
Canadien. La glace, il connait et cet après-midi son avis est bien utile pour
louvoyer entre les obstacles.
Plutôt
que de naviguer sur la route directe, le Commandant a décidé de contourner par
l'est et le nord l'île Upernivik (rien à voir avec le village d'Upernavik),
séparée du continent groenlandais par le chenal d'Inukavsait, étroit et sinueux. Le paysage
vaut vraiment le détour.
Carte électronique : Route à suivre dans le chenal d'Inukavsait pour contourner l'ile Upernivik |
Le
Soléal navigue entre de hautes montagnes aux sommets découpés en pointes
acérées. A travers d'étroites vallées, plusieurs langues glaciaires dévalent
des pentes escarpées et tentent de rejoindre la mer. En bas des pentes, on
observe clairement les moraines entrainées par la glace avant qu'elle ne
recule. Un vrai cours de géologie à ciel ouvert !
Inutile de préciser qu'il y a la passion derrière les mots ; voilà un voyage dont nous redirons sans cesse qu'il est unique parce qu’il touche au cœur de l'Histoire et à ce que la nature a de plus authentique.
RépondreSupprimerEsthétisme, couleurs, photos, cartes, commentaires, tout y est. Très beau travail !
Jean-Claude.
En 2007, j'avais beaucoup apprécié mon excursion au « red desert » à une heure de vedette d'Uummannaq. N'as-tu pas essayé de soulever une pierre… nettement plus lourde que ce à quoi on s'attend en la voyant… en 2007, il était question de carrière - mine pour exploiter les riches minerais du secteur. Effectivement, le contraste entre les ocres du sol et les icebergs au loin est magnifique. ma balade en 2007 à http://hurtigruten.toilapol.net/groenland/j4.html
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