Journée complète de relâche à
Isafjordur. Les prémices d'amélioration météorologique entrevues hier soir se
précisent. L'atmosphère est limpide, les sommets des montagnes environnantes
sont nets, et surtout dégagés de leur couche nuageuse qui a pris de la hauteur.
Pas encore de soleil, mais nous ne désespérons pas.
Temps clair à Isafjordur - On n'y croyait plus ! |
L'Internet dans le petit bureau
d'accueil sur le port ne fonctionne pas, pas plus que sur le FRAM. La mise en
ligne de ce récit est vraiment problématique…
Isafjordur est la ville la plus
importante des Fjords du Nord-Ouest. 2.600 habitants ! Comme à Flateyri, la
ville est construite sur une longue péninsule qui barre le fond du fjord. C'est
un important port de pêche, quelques gros chalutiers sont amarrés à quai mais
comme partout, la pêche artisanale semble en voie de disparition.
La ville est vite parcourue.
Quelques rares commerces traditionnels, un supermarché et deux fast-food sont
les seuls points d'attraction. Il subsiste un nombre important de maisons
anciennes bien préservées, aux toits et façades en tôle ondulée. Le charme
vient des différentes couleurs de ces maisons. Et les décors ou expositions
d'objets derrière les fenêtres doivent témoigner de la personnalité des
occupants. Ce détail est une constante des pays nordiques, bien que cela semble
ici moins léché qu'en Norvège.
Résider ou vivre dans cette
région ne doit pas être qu'une partie de plaisir. C'est loin de tout à cause
des kilomètres à parcourir pour contourner l'un après l'autre chacun des
nombreux fjords ou franchir des montagnes escarpées qui sont autant d'obstacles
à un déplacement aisé. Sans parler de l'obscurité, de la neige et du froid qui
y règnent durant le long hiver. Ici, c'est pire que le bout du monde ! Et tout au
nord de cette zone de fjords, il n'y a que les oiseaux qui peuvent s'y plaire,
il n'y a jamais eu de routes pour s'y rendre.
L'après-midi, nous avons du temps
devant nous et nous nous connectons à la civilisation au bar d'un petit hôtel,
ce qui nous permet d'envoyer rapidement deux pages de ce blog. Nous recevons
aussi quelques mails, mais il est impossible d'en envoyer. Les voies de
l'informatique sont décidément impénétrables !
21h30, tout le monde sur le pont
pour l'appareillage d'Isafjordur ! Temps clair, belle visibilité, l'immense
chape de nuages est en altitude. Cela change des jours précédents et c'est tant
mieux. Le FRAM quitte un fjord pour faire un détour vers un autre, le
commandant veut nous faire admirer une ancienne station baleinière norvégienne
en activité jusqu'en 1930. Sur un replat de la côte, subsistent quelques
bâtiments, une vieille cheminée… Le fond du fjord est complètement enneigé.
Le FRAM fait lentement demi-tour. Impossible de trouver la sortie ! L'horizon est complètement barré par des montagnes tabulaires noires rayées de longues strates horizontales. Et toujours beaucoup de neige. En avant lente, le FRAM rase les berges du fjord.
Une belle visibilité et peu de vent ressenti, il est agréable de prendre le quart sur la plateforme du pont 5 où je suis seul. Le bateau ayant enfin trouvé la sortie du vaste réseau de fjords, le vent se lève et la température fraîchit. Il est près de minuit, il fait grand jour, et si ce n'était le poids des paupières, je serais encore bien resté à contempler ces paysages grandioses.
Le quart d'heure culturel
L'Islande, comment ça marche ?
Avoir
le plus haut niveau de vie du monde, c'est bien ! Mais cela demande beaucoup
de sous !
Et
pour y parvenir les Islandais étaient devenus depuis plusieurs décennies des
magiciens de la planche à billets. Jusqu'à une date récente, le pays et sa
population vivaient largement le jour avec des crédits remboursés par
l'inflation du lendemain et tout allait bien.
Mais,
tout de même, comment ne pas se poser quelques questions sur ce qu'était ce
fameux miracle islandais ?
Pour
fixer les idées, l'Islande, c'est 100.000 km² et 300.000 habitants (dont
200.000 à Reykjavik). Désertique à 90%, c'est donc un pays 5 fois plus petit
que la France pour une population 20 fois moindre.
Ainsi,
en nombre d'habitants, le pays a la taille d'une agglomération française
moyenne, mais vit au rythme d'un grand Etat avec gouvernement,
représentations à l'étranger, banque centrale, et tout, et tout…
Hormis
d'abondantes ressources hydroélectriques et géothermiques inexportables,
l'économie repose sur la production et l'exportation d'aluminium, mais
surtout sur la pêche que l'Islande défend bec et ongles. Des conditions
climatiques et géologiques défavorables font que l'agriculture de subsistance
reste confidentielle ; cette agriculture est principalement consacrée au
fourrage destiné à l'alimentation hivernale des moutons et des bovins.
L'essentiel de l'activité islandaise s'oriente maintenant vers les services.
Tout
le reste est importé et l'un ne compense pas l'autre. Jusqu'au début du XXIème
siècle, l'inflation monétaire (toujours très supérieure à la moyenne
générale), compensait tant bien que mal, ce déséquilibre…
Jusqu'en
2008 !
En
10 ans, l'Islande est ainsi passée d'une économie traditionnellement stable
basée sur la prospérité de la pêche à une économie hasardeuse fondée sur la
finance à risque, ce qui a rendu le pays particulièrement vulnérable.
Le
problème est venu de la croissance débridée des banques islandaises et de
leur taille démesurée par rapport à celle du pays, et aussi de l'imprévoyance
et des erreurs de la banque centrale du pays et des politiques.
Les
banques locales s'étaient lancées dans une politique d'endettement effrénée
et de gonflement des bilans en spéculant sur des actifs étrangers de plus en
plus risqués. Les taux d'intérêt qu'elles proposaient aux épargnants locaux,
britanniques ou bataves étaient plus qu'attrayants et ce fut le début d'une
accélération vertigineuse… vers l'endettement colossal de ces organismes
bancaires. En 2008, les dettes des banques représentaient douze fois le PNB
de l'Islande, largement supérieur à ce que l'Etat islandais pouvait garantir.
La
méfiance interbancaire générée par la crise des subprimes U.S. a d'abord fait
chuter la 3ème banque islandaise qui ne pouvait plus se refinancer. Sa
nationalisation précipitée a ébranlé tout le système et mis les autres
banques à genoux, puis l'Etat.
Ce
boom bancaire a soutenu la croissance durant une dizaine d'années et les
Islandais qui en ont bien profité se sont laissé hypnotiser par des
responsables à l'égo hypertrophié, qui confondaient banque et casino... Dans
cette petite île pourtant habituée aux soubresauts et aux déchaînements des éléments
naturels, la tempête financière a tout balayé sur son passage : les
banques, la monnaie, l'immobilier, l'activité économique… et les bas de laine
de plusieurs dizaines de milliers de petits épargnants ! Sans parler de
l'augmentation durable de leurs impôts.
Classée
début 2008 en tête des "pays où l'on vit le mieux", l'Islande et
ses 300.000 habitants sont passés brutalement sous perfusion.
Pour
preuve :
Dans
leurs fantasmes mégalomaniaques, banquiers et politiques avaient imaginé de
doter Reykjavik (200.000 habitants !), d'un complexe pharaonique comprenant
salles de concert, centre culturel, centre d'affaires international, grand
hôtel de luxe et nouveau siège de la première banque du pays. Un architecte
danois a été associé au délire et ne s'est pas privé. La folie des grandeurs
!
2008
a stoppé net la poursuite de la belle construction, déjà bien avancée. Seule,
Harpa, la nouvelle salle de concert était sortie de terre, mais ce chantier
abandonné devenait aux yeux de la population le symbole trop évident de ce
qui avait mené le pays à sa perte. Insupportable !
Malgré
les problèmes financiers, le gouvernement a continué dans la douleur la
construction de Harpa. Les salles de concert ont été inaugurées en 2011.
L'achèvement de Harpa est alors devenu le symbole de la capacité des
Islandais à avoir su dépasser cette crise.
On veut y croire !
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