CROZET - LA BAIE AMERICAINE

Mardi 28 Mars 2017 - 7^ème Jour

Où sont donc les 40èmes rugissants ?

L'archipel des Crozet est réputé pour sa mauvaise météo quasi permanente faite de tempêtes et de pluies violentes. Eh bien, dès le lever du jour, le ciel est exagérément ensoleillé et clair, la mer est quasiment lisse. Incroyable ! Seuls, six petits degrés de température extérieure nous rappellent où nous sommes.

Mer calme à Crozet - La Baie du Marin et sa manchotière

Dans le jour naissant, apparaît à une dizaine de milles l'Île de l'Est, l'île mystérieuse, l'île interdite qui excite la convoitise de tous les résidents de Crozet. Cette île au profil tourmenté est entièrement inscrite dans la réserve intégrale des T.A.A.F. et personne n'y a mis les pieds depuis plus de dix ans. Pour les Crozetiens, cette île inaccessible est une véritable provocation exhibée en permanence sous leur nez…

Île de l'Est, fascinante au petit matin

09h15, départ en hélico vers la base Alfred Faure pour embarquer France, notre guide ResNat (Réserve Naturelle) pour la journée. Puis, nous traversons le sud-est de l'île en survolant des plateaux humides entrecoupés de profondes vallées parallèles, jusqu'à la Baie Américaine (d'abord nommée Baie U.S. puis BUS par les Taafiens).

Cette baie est une longue plage de sable noir enserrée entre des falaises volcaniques. Le survol de la baie est spectaculaire et l'atterrissage directement sur la plage près de deux cabanes est plutôt impressionnant. Ces cabanes servent de refuge et de point de ravitaillement aux scientifiques lors de leurs déplacements hors de la base.

Crozet - Cabanes de la Baie Américaine

Il y a là une petite colonie de manchots royaux qui nous accueille directement dès notre descente d'hélicoptère. Notre présence intrigue ces oiseaux isolés qui ont perdu leur poussin ou qui n'ont pas réussi à pondre. N'ayant plus de charge de famille, ils n'ont donc plus besoin de vivre en manchotière. Ils vont et viennent librement sur la plage, seuls ou en petits groupes, en évitant quelques éléphants de mer assoupis.

Comité d'accueil en Baie Américaine

Jeune éléphant de mer mâle

Après avoir traversé à gué la rivière Moby Dick à l'extrémité ouest de la plage, il nous faut gravir les contreforts du Morne Rouge en faisant de nombreux arrêts pour observer la flore locale, puis contourner le lac Sans Nom comblant le fond d'un ancien volcan.

Après être sortis du cratère, nous devons traverser un large plateau au sol spongieux et instable que l'on parcourt sur des caillebotis. Au loin vers le bord de la falaise, quelques pétrels géants s'ébattent autour de leurs nids en ouvrant largement leurs grandes ailes. Ces redoutables prédateurs, mais excellents voiliers, ont une allure préhistorique qui n'inspire guère la sympathie. Pourtant, ils ont aussi leur place dans le cycle de la nature.

Pétrel géant

Au fur et à mesure de notre progression, ces chemins se rapprochent du bord de la falaise et nous permettent de surplomber de grands champs de laminaires qui ondulent à la surface de la mer. Sur une petite plage, quelques éléphants de mer se prélassent sur un lit d'algues échouées.   

Paysage de l'île de la Possession

Champ de laminaires

Famille d'éléphants de mer

Crozet - La Petite Manchotière

C'est ainsi que nous arrivons en vue du site de la "Petite Manchotière". Celle-ci est moins importante que celle de la Baie du Marin mais les manchots royaux y sont tout aussi bruyants. Depuis un replat du terrain, nous pouvons observer leurs incessantes allées et venues entre la plage et la mer. Et, il y a beaucoup d'activité… Les individus isolés se tiennent près du rivage tandis que les jeunes et leurs parents se regroupent au fond de la baie. Au milieu de tout ce monde, des éléphants de mer imperturbables, continuent leur sieste tandis que les skuas et les pétrels, l'œil toujours aux aguets, sont à la recherche d'un mauvais coup à faire.

L'heure du repos chez les manchots royaux

L'éléphant de mer : force d'opposition contre la mer !

Le soleil est toujours de la partie et nous permet de prolonger un pique-nique partagé depuis notre observatoire, bien conscients d'être les témoins privilégiés de scènes rares de la vie sauvage.

Retour par le même itinéraire jusqu'à la Baie Américaine pour reprendre l'hélicoptère. Les nombreux manchots royaux nous attendent sur la plage de sable noir. Plutôt curieux mais intrigués, les manchots s'approchent des visiteurs avec prudence. Ils hésitent, reculent, reviennent vers chacun de nous. Le contact est presque facile, en étant assis ou accroupis sur le sable à leur hauteur, les manchots s'enhardissent et se rapprochent encore de nous, à moins d'un mètre… Alors, le cours des choses s'inverse : les bêtes curieuses, c'est nous ! Nous vivons là un moment privilégié, un instant magique en phase avec la nature : des manchots à moins d'un mètre de leurs admirateurs immobiles !

Crozet - Les manchots curieux de la Baie Américaine

 

La première rotation d'hélicoptère vient rompre le charme de cet instant magique. Comme pour se faire pardonner, le pilote décolle, puis suit à basse altitude le cours d'une longue vallée. Après la méditation, les sensations fortes ! On a l'impression que le rotor va toucher les flancs de la vallée. Heureusement, c'est juste une impression et nous nous poserons sans encombre sur la DZ du Marion Dufresne (Drop Zone).

L'excellente météo a permis que toutes les opérations de débarquement ou de rembarquement des vivres ou marchandises, par chaland ou par hélicoptère, se fassent totalement durant ces deux jours. Tout le monde est soulagé, l'OPEA qui est l'organisateur de tous ces transferts et les hivernants de Crozet qui sont complètement ravitaillés jusqu'à la prochaine rotation, en août prochain.

Le Marion appareille de la baie du Marin en fin d'après-midi et salue d'un long coup de sirène les hivernants de Crozet qui vont rester encore quatre mois sur leur caillou. Ceux qui viennent de rembarquer sur le navire au terme de leur mission ont la larme à l'œil et regardent avec émotion leur île s'évanouir dans le sillage. Des liens amicaux se sont créés entre résidents, une page de vie se tourne pour d'autres, le Marion leur arrache tout ça. Nostalgie !

L'île de l'Est au soleil couchant

Île de l'Est - Où sont les Quarantièmes ?

Plus tard, le Marion Dufresne navigue à peu de distance de l'île de l'Est joliment éclairée par le soleil couchant. Les côtes abruptes semblent inaccessibles. Malgré la clarté et l'ensoleillement exceptionnels ici, il commence à faire froid sur l'aileron de passerelle… Quelques grands albatros suivent le bateau dans un ballet parfaitement réglé. C'est beau !

Et maintenant, cap au 107 vers le sud des îles Kerguelen d'ici deux jours de mer.

LES V.S.C. (Volontaires au Service Civique) Initié par l'Etat, le Service Civique est un engagement volontaire de jeunes adultes au service de l'intérêt général, social, humanitaire, etc… où seuls comptent le savoir-être et la motivation. Ces jeunes peuvent aussi l'effectuer dans diverses disciplines, dont celles de l'environnement ou de la recherche. Ces jeunes gens ou jeunes filles au terme de leur cursus universitaire viennent ici parfaire leurs connaissances avant de s'engager dans la vie professionnelle. Dans le monde actuel, leur enthousiasme à mener à bien leur tâche dans des conditions climatiques difficiles est plutôt rassurant et réconfortant. De nombreux V.S.C. sous contrat avec l’I.P.E.V. ou les T.A.A.F. se rendent donc chaque année dans les iles pour y assurer le suivi des différents programmes scientifiques. Ils sont les yeux, les oreilles et les petites mains au service des facultés ou des laboratoires extérieurs qui ne peuvent pas être sur place. Contre le vent, le froid, la pluie et parfois la neige, ils vont repérer, observer, recenser, capturer, mesurer ou étudier tout ce qui bouge ou tout ce qui pousse sur les îles. C'est une rude parenthèse (jusqu'à 14 mois pour ceux qui font un hivernage complet), loin du confort et des facilités de la vie métropolitaine, que beaucoup mettent à profit pour raconter sur le Web leur vie de Taafiens. Et ils sont plutôt prolixes, car la toile héberge une foultitude de blogs, pour la plupart fort bien écrits et abondamment illustrés de jolies photos prises au plus près des animaux, racontant ainsi les occupations scientifiques ou les coups de cœur de ces jeunes hivernants.