(Île Devon -Nunavut)
Nouveau recul de
la montre d'une heure cette nuit (UTC-5), le réveil matinal n'en est que moins
dur.
C'est routinier,
mais le beau temps nous poursuit dès l'aube. Qui s'en plaindrait ? Grand ciel
clair et excellente visibilité. Les sommets enneigés ou englacés de l'île Devon
se teintent de rose alors que le soleil se lève. A part les hommes de quart à
la passerelle, il y a bien peu de monde pour contempler ces petits matins
lumineux. Difficile de se passer de ce plaisir un peu égoïste !
L'ile Devon aux aurores |
05h30, le Soléal
longe la côte sud-est de la grande île Devon entièrement recouverte par une
calotte polaire. Vu du large, c'est une immense surface en pente douce qui par
son propre poids s'écoule d'elle-même très lentement vers la mer. C'est blanc
partout, le front glaciaire est une immense falaise blanche sur plusieurs
kilomètres de longueur, éclatante sous le soleil.
La calotte polaire sur l'île Devon |
En début de
matinée, le Soléal jette l'ancre dans Bethune Inlet, un étroit bras de mer
entre l'île Devon et la presqu'île de Philpots. Même ici, le site fait rêver : la
calotte glaciaire à gauche et la côte bosselée de Philpots à droite. Immense !
08h30, nous
sommes le premier groupe à débarquer ce matin. Initialement, ce devait être
pour une petite navigation à proximité du front glaciaire mais les plans sont
révisés au dernier moment car un ours polaire a été repéré à nager vers le fond
de la baie.
Le premier ours polaire |
L'occasion est
trop belle. Effectivement, au bout de quelques minutes de navigation à bord du
Zodiac™, on remarque bien un point blanc à la surface de l'eau. Et un point,
c'est pas gros ! Néanmoins, en s'approchant prudemment on distingue une tête et
un dos qui émergent : c'est l'ours ! Il y a plusieurs Zodiac™ remplis de
photographes armés jusqu'aux dents qui cernent la bête. Se sentant vulnérable, l'ours
pas rassuré, préfère s'éloigner en se retournant fréquemment vers nous.
L'ours fuit la meute de photographes |
Nous le suivions
à une quarantaine de mètres de distance pour tenter de saisir son meilleur
profil (par ailleurs difficile à photographier sur une frêle embarcation), lorsque
simultanément toutes les radios VHF crépitent en même temps :
"Canot n°3
- Moteur en panne !"
"Moi aussi
!"
"Moi aussi
!"
Ce n'était pas
le cas de notre Zodiac™, mais il y a eu un silence dans les conversations…
Et l'ours a
profité de l'incident pour s'éclipser subrepticement…
Trois moteurs en
panne en même temps ! Le carburant acheté hier à nos amis Inuits de Pond Inlet
n'était sans doute pas de la meilleure qualité ou ne convenait pas à ces
moteurs-là !
L'observation
animalière a donc tourné court et les canots ont rejoint le Soléal les uns en
remorque des autres, au grand dam des passagers des autres groupes qui n'ont
pas pu bénéficier de la balade. Sur ce coup-là, nous avons été les meilleurs !
Devant cette
situation imprévue bloquant les débarquements pour le reste de la journée, le
staff a proposé une navigation rapprochée des côtes de l'île Devon. A petite
vitesse, le Soléal a donc longé la calotte polaire et navigué à peu de distance
des hautes falaises de glace largement éclairées par un franc soleil.
L'atmosphère est
si limpide que l'on aperçoit sur bâbord les sommets enneigés de l'île Bylot à
70 milles (130 km).
Icebergs et front glaciaire |
13h30, le Soléal
vire le cap Sherard au sud-est de l'île Devon et fait route vers l'ouest en
empruntant le détroit de Lancaster qui marque le début du Passage du
Nord-Ouest.
Nous y sommes ! A
partir de maintenant, nous ne naviguons plus seulement dans l'océan Arctique,
nous naviguons aussi dans l'Histoire. A bord du Soléal, nous allons suivre le
sillage de tous ceux qui ont cherché ce passage, nous immerger dans le sillage
de tous ceux qui y ont douté, souffert et disparu. Au fur et à mesure, les
prochaines journées seront marquées par l'histoire du Passage. (Révision du cours d'Histoire : relire la 2ème page de ce récit).
A la recherche
d'animaux à observer, le Soléal pénètre en milieu d'après-midi dans le fjord de
Dundas Harbour. Le butin est maigre, un bœuf musqué très lointain à mi-pente…
Demi-tour pour explorer Crocker Bay, un fjord qui se subdivise en deux branches
dans lesquelles s'écoule un glacier.
Peu de temps
après y être entrés, les naturalistes repèrent sur l'une des parois du fjord
une famille de bœufs musqués avec quatre jeunes en train de brouter la toundra,
mais bien loin pour être correctement observables. Contrairement à leur dénomination
et leur apparence, ces animaux sont des cousins lointains des chèvres. Adaptés
au froid, ils sont recouverts d'une épaisse et longue toison qui les isolent et
sont capables de trouver leur nourriture sous la neige.
Le Soléal
patiente longuement dans l'espoir qu'ils se rapprochent du rivage mais au
final, c'est l'inverse qui se produit. Alors à défaut d'animaux, nous pourrons
contempler un nouveau glacier qui vêle dans le fond du fjord.
Crocker Bay |
Alors que le
bateau navigue prudemment, les naturalistes aperçoivent un nouvel ours polaire sur
la berge à la lisière du glacier. Nouvel arrêt pour observer l'ours, difficile
à trouver parmi les grosses pierres claires qui parsèment la berge. En fait, il
faut que la pierre bouge pour comprendre que c'est un ours…
Tous les
passagers sont sur les ponts pour trouver l'ours, qui finalement se déplace
lentement vers le bas du glacier, puis commence à gravir la pente avant de
s'installer tranquillement sur un replat de la glace.
Le bateau glisse
sans un bruit sur l'eau plate. Pas un murmure, tout le monde est à l'affût et
retient son souffle en guettant l'ours que l'on voit de mieux en mieux.
Chasseurs d'ours à l'affût |
Le Soléal
s'approche encore du glacier sur la pointe des hélices pour ne pas effrayer
l'animal. Celui-ci, très coopératif, se roule, s'étire sur la glace, se
redresse, se recouche, prend son temps, ce qui arrange bien tous les
photographes qui mitraillent à tout-va.
Pour que nous
puissions encore mieux observer, le Soléal se rapproche encore davantage. 50m,
70 m peut-être ? C'est bluffant de se trouver aussi près du front du glacier.
A toucher le glacier. Osé ! |
L'ours finit par
se mettre debout, puis reste longuement immobile, sans doute étonné de voir
autant d'étrangers au cœur de son décor habituel… Nouvelle salve de photos !
Un ours très photogénique |
Alors, ayant
bien compris qu'il était l'objet du spectacle, notre ours ne ménage pas ses
effets. Toujours pataud, il gravit la pente du glacier et s'immobilise encore
un long moment au sommet, telle une silhouette dans le ciel clair, avant de
tirer sa révérence de l'autre côté de la pente. Re séries de photos. Cette
fois-ci, c'est sûr, on a vu l'ours. Un ours très… cabot !
Bien évidemment,
cela aurait pu s'arrêter là. Mais en poursuivant la navigation dans l'autre
branche du fjord de Crocker Bay, presque à la fin du dîner, un autre ours est
en vue sur un large banc de cailloux. Lui aussi termine son repas, sans doute
un phoque. Il s'est tellement régalé qu'il en a le museau rouge sang, de même
que les pattes avant. Repu, il laisse les restes du phoque à une bande de
goélands qui n'attendaient que son départ. Ainsi va la vie en Arctique.
Encore une belle journée… même en restant à bord ;)
RépondreSupprimerDes ours !
RépondreSupprimerMagnifique souvenir pour vous !