Tout début de matinée, pas de lever de
soleil. L'île de Fatu Hiva est derrière un voile de brouillard surprenant. De
lourds nuages stagnent et le plafond est si bas que l'on ne voit que le pied
des falaises. Un peu de pluie commence à tomber. Cette île volcanique est
reconnue pour être la plus humide de l'archipel à cause de sa situation
géographique plus éloignée de l'Equateur et surtout à cause de ses hauts
sommets sur lesquels les nuages s'accrochent en permanence. Et ce matin, Fatu
Hiva est à la hauteur de sa réputation.
Arrivée matinale à Omoa |
La journée ne débute donc pas bien mais
cela s'améliore lentement dès que l'Aranui jette l'ancre au milieu de la baie
d'Omoa, au sud de l'île. Les nuages s'élèvent un peu et on devine
progressivement le paysage, un dégradé de sommets et des pentes couvertes d'une
végétation dense descendant vers la mer.
La mer est agitée ce matin et le chaland
qui nous emmène vers le quai est bien inconfortable à cause du roulis.
Après quelques centaines de mètres de
marche à pied, nous arpentons la rue principale du village, bordée de jardins
luxuriants. A cause de la chaleur et de l'humidité, tout semble pousser sans
efforts : bananiers, arbres à pain, avocatiers, cocotiers, manguiers, pandanus,
et fleurir sans difficulté : hibiscus à profusion et bougainvilliers, entre
autres. Un vrai jardin d'Eden bien agréable à parcourir.
L'église d'Omoa |
Dans
le village, nous sommes conviés à la démonstration de fabrication du tapa,
spécialité de Fatu Hiva. Le tapa est une étoffe végétale confectionnée à partir de
la partie interne de l'écorce de banian, d'arbre à pain ou de mûrier à papier.
Devant nous, une Marquisienne est assise sur une natte en palme et frappe avec
un battoir en bois très dur un morceau d'écorce posé sur un bloc
de basalte poli. Cette technique permet d'agrandir la surface du morceau
d'écorce et de le rendre de plus en plus fin et souple, comme du tissu.
A
l'origine, les morceaux de tapa étaient cousus entre eux avec de la fibre
végétale pour confectionner des robes ou des chasubles. Les habitantes de Fatu
Hiva en sont les grandes spécialistes, car c'est la seule île des Marquises où
pousse le mûrier à papier qui donne un tapa très blanc. De nos jours, cette
technique fastidieuse a évolué vers la confection de supports décoratifs, qui
sont alors enduits d'amidon de coco puis séchés, avant que l'on puisse dessiner dessus.
En plus de la musique et des fleurs, le comité d'accueil propose souvent une dégustation de fruits |
Bien
évidemment, cette démonstration nous a menés directement vers le marché
artisanal avec un sympathique accueil fleuri et musical de la part des
habitants. Beaucoup de ces tapas sont proposés à la vente, représentant des
graphismes ethniques plus ou moins stylisés ou des animaux symboliques des
anciennes croyances : tortue marine, raie, etc… Il y a également quelques beaux
objets en bois sculpté, vite repérés par les amateurs, dont de jolies pirogues
que l'on n'avait pas vues jusqu'alors. En dehors du côté mercantile, ces
expositions permettent d'admirer la dextérité des Marquisiens dans les arts
traditionnels.
Les tapas marquisiens |
12h00,
l'Aranui quitte le mouillage d'Omoa pour gagner la baie de Hanavave, 4 milles
(7 km) plus au nord. Une très courte navigation !
Une
demi-heure plus tard, le bateau est mouillé devant l'un des plus beaux sites
des Marquises, une petite baie aux rives hautes et abruptes où la végétation
dense coule en cascade jusqu'à la mer, y compris les cocotiers pourtant peu
habitués aux terrains escarpés.
Le
fond de la baie est barré par un mur de basalte et communique avec
l'intérérieur de l'île par un étroit défilé.
La Baie de Hanavave ou Baie des Vierges |
Ce
site exceptionnel, appelé aussi Baie des Vierges, doit sa réputation aux
nombreuses colonnes basaltiques qui surgissent soudainement du sol. A cause de
ces colonnes, les anciens navigateurs qui y relâchaient avaient baptisé ce lieu
Baie des Verges, nom que les missionnaires ont pudiquement remplacé par Baie
des Vierges… A voir sur place, il est évident que ces formations rocheuses
s'apparentent plus à des sculptures phalliques qu'à des images pieuses… Mais,
là encore, je peux me tromper.
Cet
endroit est également très connu des voileux circumnavigateurs comme étant
l'une des premières escales en venant des Galapagos lors d'une traversée du
Pacifique. Trois voiliers y sont d'ailleurs au mouillage aujourd'hui et roulent
bord sur bord à cause d'une méchante houle. Même sous la protection des vierges
le paradis doit se mériter !
La Baie des Vierges, l'escale des tourdumondistes à Fatu Hiva |
Nous
débarquons en chaland en début d'après-midi. Une activité fébrile anime le tout
petit quai situé au pied d'une falaise noire. Les engins de manutention sont
toujours surprenants. Ici, le déchargement des marchandises se fait à l'aide
d'une pelle hydraulique à chenilles qui transfère les caisses de fret depuis la
barge jusqu'au quai. Pas très souple ! Beaucoup de sacs de fruits, de régimes
de bananes attendent d'être rechargés sur l'Aranui. Les Marquisiens discutent
en attendant leurs colis, les pick-up vont et viennent.
Outillage portuaire des Marquises |
L'église de Hanavave |
Nous
déambulons jusqu'à l'étroite faille qui sépare les deux versants abrupts de la
vallée. Nous parcourons un petit hameau fait de maisonnettes très simples et,
comme ce matin, nous longeons des jardins où tout pousse sans retenue. Cela parait
moins organisé qu'à Omoa. Ici, la nature semble imposer son rythme.
Nous
retournons à bord en fin d'après-midi. Il est prévu que l'Aranui reste au
mouillage une bonne partie de la soirée. Et comme il faut doper le chiffre
d'affaires du bar, ce soir c'est Happy Hour pour que les passagers puissent
admirer la Baie des Vierges au couchant en sirotant un cocktail exotique sur le
pont. Bonne idée !
Nous
avons été ainsi gratifiés de belles lumières sur les rives verdoyantes de la
baie qui mettaient en valeur chaque détail du relief. La Baie des Vierges, la
plus jolie baie des Marquises !
LA BAIE DES PÉNIS
(Histoire vraie)
En fin d'après-midi, alors que je suis accoudé au bastingage de
l'Aranui, en pleine contemplation de la Baie de Hanavave, je suis interrompu
dans ma méditation par un passager allemand, réputé pour être très sûr de lui
:
- Ach so ! Tu sais comment s'appelait cette baie autrefois ?
- Oui ! Les anciens chasseurs de baleines l'avaient appelé la Baie de
Verges.
- Nein, nein ! C'était la Baie des Pénis. (dénotant au passage une
excellente maîtrise du français). Cela s'appelait la Baie des P É N I S,
insiste-t-il.
Je n'ai, évidemment pas pu maîtriser un grand éclat de rire qui a
surpris mon interlocuteur.
- Mais, il y a là une subtilité de la langue française : verge et pénis
désignent la même… chose !
- Ach ! Vraiment ?
- Oui, ce sont les premiers chasseurs de baleines qui avaient appelé
cette baie, la Baie des Verges à cause de la forme des rochers très élancés.
Et ce sont les missionnaires qui ont transformé le nom en Baie des Vierges
parce que cela les arrangeait bien.
- Ach ! Je comprends mieux !
Et il est parti aussitôt, tout content répéter l'info à ses amis. Avait-il été trahi par une traduction approximative de son guide touristique ?
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