Nous avions bien été
prévenus la veille par nos différents guides : il ne fallait en aucun cas rater
l'arrivée spectaculaire dans la baie de Vaipaee sur l'île de Ua Huka. Moralité
: tout le monde a bien suivi le conseil, et malgré l'heure matinale, je ne suis
pas le premier sur la coursive du pont supérieur. Grrr… ! Et de toutes façons,
en prévision de l'affluence, le capitaine avait fort précautionneusement fermé
la porte de la passerelle et aussi bloqué l'accès à l'aileron tribord avec une
chaîne, pour assurer dans le calme le parfait déroulement de la manœuvre à
venir.
Sur la carte marine la
baie de Vaipaee est nommée "Baie Invisible". Et pour cause, venant du
sud-est, rien ne permet de la distinguer au milieu d'une côte rocheuse et découpée.
Rien que de la roche ocre, pelée, dénudée. Ua Huka est une île plus basse que
ses voisines, sans hauts sommets pouvant accrocher les nuages. Il y pleut
rarement, d'où cet aspect désolé quand on l'observe de loin.
Et, vu du large, comment
le capitaine va-t-il pouvoir trouver la "Baie Invisible" ? Elle ne se
découvre qu'au tout dernier moment, au détour d'une pointe. Il s'agit plus
d'un… fjord que d'une baie, un fjord marquisien encadré de falaises ocres avec
une petite plage et quelques cocotiers au fond.
C'est pour assister à cette arrivée que beaucoup de
passagers sont réunis sur les ponts. L'Aranui pénètre très lentement dans le
fjord et mouille son ancre, puis pivote doucement sur place. L'espace est
restreint, et durant la manœuvre, la poupe est bien près des rives abruptes.
Demi-tour dans la baie de Vaipaee |
Deux chaloupes sont
alors mises à l'eau, afin de porter les aussières arrière à terre. L'opération
est extrêmement périlleuse : la chaloupe est à toucher la falaise contre
laquelle bat un fort ressac. Le barreur doit être concentré pour éviter que
l'embarcation ne se fracasse alors que l'équipier choisit le moment opportun
pour sauter sur les rochers avec une lourde aussière qu'il va fixer sur une
bite d'amarrage en béton. Sans parler du retour du marin qui doit sauter dans
la chaloupe : encore plus dangereux.
Exercice de haute voltige pour amarrer l'Aranui à Vaipaee |
Le capitaine de
l'Aranui termine l'opération en faisant raidir les aussières tribord et bâbord arrière
pour mettre le bateau dans l'axe du fjord, la proue vers le large. Encore une
manœuvre millimétrée parfaitement exécutée par des pros !
Comme à l'accoutumée,
dès l'arrivée de l'Aranui, la halle près du quai est très animée. Ici,
l'exportation d'agrumes parait importante. A l'écart des sacs de fruits,
plusieurs femmes vendent des casse-croutes ou préparent des plats chauds qui
mitonnent dans des cocotes en fonte. Une bonne occasion de papoter entre elles.
Toute une activité se crée sur le quai ou sous la halle lors des escales du
bateau, mais qu'en reste-t-il dès que l'Aranui a levé l'ancre ?
A Vaipaee, c'est près de la mairie que les habitants se sont
réunis en nombre pour accueillir les visiteurs. Et l'accueil ici, c'est très
sérieux. Toutes les femmes sont vêtues de robes différentes mais toutes coupées
dans le même tissu imprimé de motifs marquisiens. Il en est de même pour les chemisettes
des hommes. La cohérence de l'habillement n'est qu'apparente, car chacune ou
chacun y a apporté sa petite touche personnelle.
Pas de fleurs cette fois-ci pour le traditionnel collier,
mais des assemblages de grosses graines noires, blanches ou rouges du plus bel
effet. Visiblement, les Marquisiennes se sont réservées toutes les fleurs de
l'île pour confectionner de magnifiques couronnes multicolores qu'elles portent
fièrement. De véritables œuvres d'art !
Droit à l'image préservé ! Dommage ! Les regards et les sourires étaient encore plus beaux |
Sur une placette
ombragée, un petit groupe de chanteurs et de musiciens donnent une aubade en
accommodant un répertoire de très vieilles chansons françaises avec des rythmes
polynésiens. Etonnant ! Ensuite, nous avons droit à une lente et ondulante
chorégraphie de la part de six jeunes femmes. On tomberait presque sous le
charme marquisien…
Le même soin et le
même souci du détail se retrouvent dans le centre artisanal près de la mairie
où sont exposés de jolis objets traditionnels ou folkloriques en bois sculpté.
Les affaires ont été florissantes…
En face de la mairie,
un petit mais très intéressant musée ethnographique : y sont entre autres exposés,
des dessins ou photos de tatouages anciens, des grands panneaux en tapa mais
aussi une importante collection de maquettes de pirogues en bois finement
sculpté. Intéressant !
Un convoi de pick-up
nous emmène jusqu'à l'arboretum de Papakeikaa, créé il y a 40 ans par Léon,
l'ancien Maire. Un personnage truculent mais visionnaire qui voulait lutter
contre la déforestation de l'île due à la sécheresse. Il a mis toute son
énergie pour acclimater plusieurs variétés d'arbres extérieurs à l'archipel,
mais aussi pour développer des pépinières d'arbres ou arbustes locaux mis à la
disposition des îliens pour qu'ils les replantent chez eux. La tâche est
immense, les moyens manquent de plus en plus et on sent Léon quelque peu
désabusé…
Nous poursuivons notre
visite en suivant une route en corniche qui, de virages en détours, surplombe
une côte fortement découpée, pelée, sauvage où la mer bat violemment. Grandiose !
Mais en haut des falaises ocres, pas un arbre, rien. On est loin des paysages
habituels marquisiens.
Le convoi s'arrête au
milieu de nulle part. Deux immenses farés encadrent un vaste espace où s'est
déroulé le Festival des Marquises il y a quelques années. Depuis l'estrade,
nous voyons une troupe folklorique nous faire une impressionnante démonstration
de haka, accompagnée de percussions, de cris rauques, de claquements de mains
sur les cuisses. La symbolique guerrière, même si elle a évolué, est évidente
et les Marquisiens ne manquent aucune occasion pour renouer avec les
traditions.
Résurrection des coutumes ancestrales |
Le convoi de 4x4 poursuit sa route
jusqu'à Hane au sud de l'île, où nous déjeunons.
La visite d'un petit site archéologique
est le prétexte pour une courte promenade digestive dans la vallée de Hane.
Rompant avec le paysage habituel de l'île, cette vallée est très verdoyante et
la végétation dense. Nous montons pendant une vingtaine de minutes sous un
couvert d'arbres, bienvenus à cause de la chaleur.
Site archéologique de Hane |
Nous arrivons dans une clairière à flanc
de colline pour découvrir quelques vestiges archéologiques : une terrasse
empierrée, des blocs de roches volcaniques et trois tikis de petite taille. Rien
de spectaculaire. La plupart de ces anciens sites rituels ont disparu au fil du
temps, oubliés par les populations, recouverts par la végétation galopante et
dégradés par la pluie et les glissements de terrain. Il ne manque que les explorateurs
pour partir à la reconquête des nombreuses vallées perdues, pour retrouver,
inventorier et valoriser des centaines de sites comme celui-ci.
Avec le médecin du bateau, je me suis
néanmoins attardé à faire quelques photos des lieux. Nous redescendons ensemble
vers le village en discutant. Il arrive quand même à faire un peu de tourisme
entre deux consultations de bobologie à bord. A chaque débarquement, il emmène toujours
dans son sac à dos la trousse à pharmacie, quelques instruments, un
défibrillateur, etc... Pour le cas où… Sans oublier la radio VHF pour rester en
liaison permanente avec le reste de l'équipage. En réalité, il n'est pas
vraiment en vacances !
Les nouvelles vont vite. L'infirmière du
village, est toute contente de le rencontrer et de lui faire visiter son infirmerie.
Il arrive que le médecin de l'Aranui soit aussi le médecin du village le temps
de l'escale pour soigner les habitants. Mais sur cette rotation, rien de grave.
Embarquement sur la plage de Hane à Ua Huka |
Durant la journée,
l'Aranui s'est déplacé jusqu'à Hane et a jeté l'ancre à proximité d'un énorme
rocher en forme de pain de sucre qui ferme la baie. Notre rembarquement se fait
directement sur la plage, et cette fois-ci dans les chaloupes plus manœuvrantes
que les lourds chalands dans le ressac.
19h00, grande soirée
polynésienne. Les tables ont été dressées sur le pont piscine et un beau buffet
de spécialités tahitiennes attend les convives. Comme il se doit, chacune ou
chacun a revêtu son plus beau paréo ou sa jolie chemise à fleurs pour respecter
le thème de la soirée. Les élèves des activités chants et danses ont ouvert le
spectacle après le repas pendant que l'Aranui accostait sans encombre à Nuku
Hiva pour passer la nuit.
Toutes les escales ont l'air fabuleuses, mais je trouve dans ton récit que celle-ci a une petite magie en plus... Entre l'arrivée dans ce fjord mystérieux, les prouesses maritimes pour l'accostage, les paysages et le contact avec les habitants, je pense que j'aurais vraiment beaucoup aimé cette journée.
RépondreSupprimer