L'Aranui est resté une bonne partie de la
nuit au mouillage dans la baie de Taipivai à Nuku Hiva. Il faut dire que les
distances entre les îles sont courtes. A peine deux heures et demies sont
suffisantes pour rejoindre l'île de Ua Pou à 29 milles (53 km) au sud.
J'ai ainsi pris l'habitude de me lever
avec le soleil à 05h00 et de monter aussitôt à la passerelle pour assister aux
derniers milles de navigation de la nuit et être un observateur privilégié de
toutes les entrées de port ou prises de mouillage en tout début de matinée.
Cela me permet aussi d'échanger quelques
mots avec le second capitaine qui est toujours de quart à cette heure-là.
Malgré son jeune âge, il a bourlingué sur presque toutes les mers du globe sur
toutes sortes de navires, du petit paquebot chic en Méditerranée, jusqu'au
navire gazier au nord de la Norvège, en passant par le transport d'éléments de
fusée Soyouz entre Saint-Pétersbourg et la Guyane, ou encore la pose de câbles
sous-marins sur un navire câblier.
L'Aranui est une nouvelle corde à son
arc, il en est à son quatrième voyage sur la ligne. Il est attiré par la
pratique de la voile hauturière, mais il parait très hésitant, handicapé semble-t-il par
son expérience de la mer vécue à travers la Marine Marchande. Il est vrai que
passer du cargo au voilier doit être un sacré choc, l'inverse est bien plus
facile.
Arrivée matinale à Ua Pou |
05h45, tandis que l'Aranui pénètre dans
la baie de Hakahau à Ua Pou, les lourds nuages qui couvraient l'île se
dissipent. Apparaissent alors une série de pointes volcaniques très escarpées,
que les Marquisiens appellent selon une vieille légende : "Les
Piliers". Ces pointes sont groupées et donnent un aspect menaçant à un
paysage pour le moins inhabituel.
S'il y a bien un quai où l'Aranui peut accoster,
Hukahau ne possède pas de service portuaire. C'est l'équipage du navire qui
gère seul les opérations. Peu avant d'arriver, une ou deux chaloupes sont mises
à l'eau et ce sont les marins eux-mêmes qui vont porter les aussières à terre
au prix d'acrobaties parfois périlleuses.
Le quai, plus court que le bateau, est
situé juste derrière la digue qui protège la baie de la houle. La manœuvre est
plutôt complexe car le bateau doit faire demi-tour dans un espace restreint
pour pouvoir accoster en s'aidant des aussières portées à terre. Ceci fait, le
déchargement du fret commence immédiatement.
Nous partons à 07h30 faire une petite
randonnée avant qu'il ne fasse trop chaud ! Il s'agit de rejoindre un calvaire
situé sur une petite colline. Une demi-heure de marche suffit pour y arriver et,
dès le départ, le soleil tape fort.
Mais la balade vaut le coup. A l'ombre de
la croix, nous pouvons contempler tranquillement le village niché dans la verdure,
la plage de sable gris au fond de la baie et les Piliers qui se découvrent peu
à peu. Ces formations basaltiques attirent immanquablement le regard tant elles
sont spectaculaires.
Les Piliers de Ua Pou |
Baie de Hakahau |
Juste la place pour accoster ! |
Une fois toutes les trois semaines, l'arrivée
des passagers de l'Aranui est un évènement dans chaque village des Marquises. Les
habitants participent à l'accueil des visiteurs, en distribuant un collier
de fleurs, en chantant, en grattant la guitare ou l'ukulélé au cours d'une
aubade, en dansant au sein d'un groupe, en proposant la dégustation de fruits
et bien sûr en vendant de l'artisanat.
C'est l'occasion de commercer, bien sûr.
Mais en venant au devant des passagers, cela semble être aussi le prétexte pour
les villageois de se retrouver entre eux pour discuter et colporter les derniers
potins. Sans doute que nous aussi, passagers, nous leur apportons les échos du
monde extérieur, et les échanges sont toujours fructueux.
Ce matin, c'est sous une halle hexagonale
qu'ont lieu les animations à notre intention. En plus du collier de fleurs,
nous avons droit à la chorale des enfants des écoles dirigée par le Maire de la
commune lui-même. Et les petits marquisiens ne font pas semblant, ils chantent
vraiment et très bien et très fort ! Le chant est dans leurs gènes.
Au centre de la halle, trône un buffet de
fruits locaux dont on se sert dans une assiette… compostable (une grande
feuille d'un arbre dont j'ai perdu le nom, désolé !), que l'on remplit de
mangue, papaye, pamplemousse vert, banane fraiche ou séchée ; le tout
accompagné d'un petit verre d'une boisson aromatisée au gingembre. C'est
délicieux, tous ces fruits récemment cueillis ont des saveurs que l'on a
oubliées depuis longtemps. Un régal !
Dans une pièce attenante, se tient le
marché artisanal, emplacement incontournable de toute escale de l'Aranui. Les
stands sont tenus par des Marquisiennes vêtues de longues robes ou de paréos très
colorées, leur tête souvent entourée d'une jolie couronne de fleurs. D'une voix
lente et douce, elles vantent aux touristes la qualité des objets qu'elles
vendent.
Elles proposent surtout des curios
sculptés dans l'ébène ou le bois de rose, symbolisant les croyances ou
divinités locales : raies mantas, tortues, tikis, etc... D'autres proposent les
mêmes objets, mais réalisés en "pierre fleurie". Cette pierre, qui a
inspiré plusieurs sculpteurs marquisiens, est incrustée dans sa masse de petits
dessins ressemblant à des pétales de fleurs. On ne la trouve que dans deux
endroits au monde : au Brésil et à Ua Pou.
Ce joli marché a eu un succès mérité et
les affaires ont été florissantes.
En fin de matinée, nous sommes conviés au
tohua, place cérémonielle du village, pour une nouvelle exhibition folklorique.
Toujours un peu pareil, toujours un peu différent. Cette fois-ci, ce sont
d'abord les femmes qui évoluent en ondulations gracieuses, relayées par les
hommes qui nous refont le coup du haka dans des postures agressives qu'ils
accompagnent de cris rauques. Ainsi, à chaque représentation, nous avons droit
à la "Danse du Cochon" qui semble être un élément obligatoire du
répertoire local. Quel sens donner au nom de cette danse ? Il se dit que les
guerriers marquisiens, avant d’aller au combat, imitaient les déplacements et
les cris du cochon sauvage afin d’impressionner l’ennemi. Sans doute est-ce vrai
pour les premiers mouvements de cette danse ? Mais il m'a semblé qu'en fin de
chorégraphie, la gestuelle et les sons qui l'accompagnaient, s'orientaient plutôt
vers une imitation du comportement… humain. Mais je peux me tromper !
La relève est déjà assurée ! |
Quoi qu'il en soit, les danseuses et
danseurs de Ua Pou étaient très heureux de nous présenter leur répertoire qui
témoigne du renouveau des traditions ancestrales longtemps abandonnées et
qu'ils ont plaisir à remettre au goût du jour.
Nous nous rendons ensuite au cœur du
village, au restaurant "Tata Rosalie" pour un buffet de spécialités
marquisiennes. C'est ainsi que les passagers de l'Aranui participent, en dehors
de l'achat de souvenirs, à l'économie locale en aidant ponctuellement,
commerçants, restaurateurs, agriculteurs ou pêcheurs. Les Marquises et
l'Aranui, c'est gagnant, gagnant !
14h00, retour à bord. A ce moment, je
dois faire un aparté personnel. C'est aujourd'hui le jour exact de notre
anniversaire de mariage, évènement qui est le prétexte avoué de ce voyage. 20
ans ! Cela devait être fêté dignement !
La veille, ne sachant où m'adresser sur
place, j'avais sous-traité avec Vaihere, la directrice de croisière, la mise en
place d'un bouquet de fleurs dans la cabine. Elle m'avait rassuré en me disant
qu'elle organiserait cela et que d'avance, elle était déjà sûre que cela serait
très bien.
C'est ainsi que ce magnifique bouquet trônait
sur la table de nuit de la cabine à notre retour d'excursion. S'étant prise au
jeu, Vaihere était toute contente d'avoir fait ajouter une inscription sur un
bandeau. Je vous laisse imaginer l'effet de surprise lorsque Nelly est entrée
dans la cabine !
14h30, appareillage pour une navigation
de 6 milles (11 km) vers le hameau de Hakahetau au nord-ouest de l'île, en
longeant une côte très découpée où les montagnes tombent rapidement dans la mer
et le paysage toujours dominé par les Piliers.
Baie de Hakahetau |
15h30, l'Aranui jette l'ancre dans la
petite baie de Hakahetau et les opérations de déchargement du fret commencent
aussitôt. Mais ici, il n'y a pas de vrai port, juste un tout petit quai en L à gauche de la baie et qui offre un
abri précaire contre le ressac. Il y a peu de place et cela bouge beaucoup. Le
transfert des marchandises se fait en baleinière. Cela brasse tellement que
chaque colis (y compris la machine à laver), est déchargé à la chaîne entre la
barque et le quai, et stocké. Ensuite, les colis
sont rechargés à la main dans les pick-up qui arrivent chacun leur tour en
marche arrière. Idem pour le rembarquement des sacs de coprah.
La chaîne pour décharger la baleinière |
La baleinière est amarrée. Le barreur met les gaz à fond pour aténuer les effets du ressac |
L'ambiance sur ces petits quais parait
exotique et folklorique. En réalité, c'est très organisé, chacun sait ce qu'il
doit faire et quand le faire. Malgré la confusion apparente, cela se passe
toujours efficacement dans le calme.
En fin de journée, nous avons convié nos habituels
compagnons de table autour d'un apéritif au bar. Un bon moment de convivialité
avant de passer à table. Là encore, Vaihere avait bien fait les choses en
informant le personnel du restaurant. Une table nous était réservée. Et bien
sûr à la fin du dîner, toutes les lumières de la salle se sont éteintes. Sous
les applaudissements de tous les passagers, nous avons partagé un succulent
gâteau pendant que Manarii l'animateur, Steven l'un des guides marquisiens et Jacob
le serveur, chantaient pour nous en s'accompagnant à la guitare et l'ukulélé.
Nelly a eu beaucoup de mal à cacher sa surprise.
LES PASSAGERS
Nous
sommes environ 140 passagers pour cette croisière. Et pour une fois,
majoritairement francophones, soit 75 Français, Suisses et Québécois. Et
c'est bien reposant, puisque le français est la langue du pays et aussi la
langue officielle du bord.
Il
y a bien sûr, une trentaine d'anglophones, Etatsuniens, Australiens,
Norvégiens et autres, ainsi qu'une vingtaine d'Allemands.
Et
puis, fait paraît-il rarissime, nous avons à bord un groupe de quatorze
japonaises. Une sorte de Women Club, des veuves voyageuses en quelque sorte !
Des petites dames âgées, formatées, toutes de la même taille et vêtues,
chaussées, gantées, chapeautées de la même manière. Ensemble, elles forment un
groupe monolithique, hors d'âge, hors du temps, hors du monde. Elles sont
encadrées par un accompagnateur plus jeune, imperturbable et impénétrable,
d'un stoïcisme à toute épreuve. Elles sont également maternées par une interprète
locale.
Le
silence et l'immobilisme de ce groupe peu avant le premier débarquement aux
Tuamotu n'a pas manqué d'inquiéter les autres passagers, mais finalement cela
s'est plutôt bien passé.
Avec
l'aide de l'interprète locale, ces dames ont commencé à fendre l'armure lorsque
cinq d'entre elles ont participé au défilé de mode. A petits pas, elles ont assuré
une partie du spectacle, ce qui était complètement inattendu et a suscité rapidement
une réelle sympathie des autres passagers envers elles.
Quelques
autres ont également forcé l'admiration de tous lors des sorties pédestres, dont
certaines n'étaient pas de tout repos (et pour ne rien cacher, certaines ont participé
à des randonnées que nous n'avons même pas faites).
Finalement,
sans faire de bruit, elles ont forcé le respect de tous.
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