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HIVA OA

Jeudi 27 Novembre 2014

05h00, sur la coursive du pont supérieur, il y a de plus en plus d'adeptes des levers matinaux. Comme sur tous les bateaux, on rencontre toujours les mêmes personnes, aux mêmes heures et aux mêmes endroits. Des habitués, pas forcément au fait de toutes les choses de la mer mais curieux et intéressés par tout ce qu'ils vivent.

Après 80 milles (150 km) de navigation, l'Aranui rejoint le groupe sud de l'archipel des Marquises, dont Hiva Oa est l'île principale. Et, après avoir franchi l'étroit canal du Bordelais, le bateau pénètre lentement dans la baie des Traîtres où se trouve le port d'Atuona, la ville principale de l'île.

Et du haut de la passerelle, je vais être le témoin d'un bel exercice d'accostage exécuté par l'ensemble de l'équipage. Le quai est en retrait d'une digue située à droite d'une baie étroite avec peu de fond. La marge de manœuvre est donc mince et le bateau est quasiment obligé de faire un créneau avant de rejoindre le quai. Pas facile avec une seule hélice et un petit propulseur d'étrave !

Le capitaine va donc jeter l'ancre et présenter l'avant du bateau à quelques mètres du quai pendant que des hommes sur deux chaloupes vont porter les aussières à terre à l'avant, puis sur bâbord et tribord à l'arrière. Ensuite, en jouant avec les treuils des aussières et le guindeau de la chaîne d'ancre, le commandant va amener calmement l'Aranui le long du quai. Créneau réussi !

Voiliers tourdumondistes dans la baie d'Atuona : Un rêve passe !
Le déchargement des petits containers commence, suivi par les marchandises en vrac dans des caisses à claire-voie spécifiques à l'Aranui. Aussitôt, c'est la fébrilité sur le quai. En échange d'une signature sur un registre, les particuliers, commerçants ou artisans récupèrent leurs colis. D'autres déchargent le plateau de leur pick-up et stockent sur le quai leur production de coprah à destination de l'Huilerie de Tahiti qui le transformera en huile de palme.

 
Ce matin, toute l'activité de l'île converge vers le quai de l'Aranui. Cela génère une belle animation et beaucoup de circulation sur la route qui mène au port.
 
Sacs de coprah en attente d'embarquement
Atuona a longtemps été la capitale des îles Marquises, mais en dehors de l'aspect touristique, elle doit essentiellement sa réputation au fait d'avoir accueilli deux hôtes de renom : le peintre Paul Gauguin et le chanteur Jacques Brel qui y ont passé les dernières années de leur vie et qui y reposent maintenant.

L'Aranui à Hiva Oa.
Tout droit sorti d'une ancienne affiche des Messageries Maritimes
Plus qu'une balade touristique, c'est donc une journée de mémoire qui nous attend aujourd'hui. Bien qu'il y ait un moyen de transport prévu en bus, nous préférons rejoindre le cimetière d'Atuona à pied tôt dans la matinée.

Nous sommes presque seuls lorsque nous arrivons devant la tombe de Gauguin, en bas du cimetière. Il repose sous un monument massif en pierre volcanique rouge.
 
Cimetière du Calvaire à Atuona.
La tombe de Paul Gauguin...
A peu de distance, à l'ombre de petits palmiers, repose Jacques Brel depuis 1978. Son monument est encore plus simple : un rectangle de pavés bruns délimite une surface gravillonnée où poussent difficilement quelques fleurs blanches ; à l'arrière, une stèle avec une plaque de bronze à son effigie et celle de sa dernière compagne, ainsi qu'une autre plaque gravée à son nom.


... et celle de Jacques Brel
A côté de la tombe, des admirateurs, des anonymes attachés au souvenir du Grand Jacques ont déposé des galets, pleins de galets noirs avec des dédicaces, des intentions, des paroles de chansons, écrites à la peinture blanche. Alors, quand on a été contemporain de Brel et qu'on a fredonné ses chansons, l'endroit ne manque pas d'émouvoir.

Nous restons ainsi un bon moment partagés entre les deux tombes. Nous sommes là, au bout du monde, attendant sans y croire vraiment la rencontre improbable de deux personnages hors du commun. Si les dates ne correspondent pas, la destinée des deux artistes est troublante et la proximité de leurs deux tombes aussi.

Nous avons du temps pour parcourir le petit village. Nous faisons une pose "Chez Eliane", un petit café où il est possible d'avoir une connexion Internet. Le débit est très lent mais permet d'envoyer quelques photos le temps de consommer tranquillement une citronnade maison bien fraîche.

Impossible de passer à Atuona sans visiter le Musée Gauguin installé dans un grand faré, non loin de la plage. Quelques objets en lien avec le peintre sont exposés, des panneaux retracent la chronologie de sa vie et ses œuvres. Le musée expose bon nombre de copies de ses toiles.

 

Ce ne sont que des copies, bien sûr ! Mais grâce à ces copies judicieusement rassemblées, le Musée Gauguin d'Atuona est le seul endroit où l'on peut suivre l'évolution du peintre entre 1875 et 1903, depuis Paris jusqu'aux Marquises en passant par Pont-Aven et Tahiti.

A l'extérieur du musée, la Commune a récemment reconstruit "La Maison du Jouir", ainsi dénommée par le peintre lorsqu'il l'habitait. Cette appellation en dit long sur l'état d'esprit anar de Gauguin à Atuona, où il ne s'était pas fait que des amis à cause de son mode de vie quelque peu dépravé, notamment pour avoir séduit de très jeunes filles qu'il avait ensuite abandonnées après en avoir bien profité…

Et pour en avoir discuté avec un commerçant, les Marquisiens ont la rancune tenace et disent ne pas garder un bon souvenir du peintre qui a fini ici en 1903 dans la misère, abandonné de tous.

"La Maison du Jouir"
A l'entrée de la Maison du Jouir :
"Soyez amoureuses et vous serez heureuses"
Toute la philosophie de Gauguin !
Attenant au Musée Gauguin se trouve l'Espace Jacques Brel, un vaste hangar abritant l'avion que le chanteur pilotait à la fin de sa vie.

En 1974, Brel avait entrepris un tour du monde à bord d'un grand bateau à voile. Rattrapé par la maladie, il interrompt ce voyage lorsqu'il fait escale à Hiva Oa en 1975. Séduit par les lieux, il s'y installe pour trouver l'apaisement loin des bruits du monde.

Il va rapidement s'émouvoir du dénuement total des Marquisiens en matière de santé, d'éducation, de culture ou de loisirs. Et il va le faire savoir au cours d'une réception où il était invité et durant laquelle il tente de faire bouger les lignes en interpellant fermement le Haut Commissaire afin que l'Administration s'investisse davantage pour les iliens.

Sans pouvoir tout résoudre, il aura essayé, dans la mesure de ses moyens, d'améliorer l'ordinaire des habitants.

Le bateau est vite revendu. Brel acquiert ensuite un petit avion bi-moteur avec lequel il visite les îles. Il fait aussi l'avion-taxi et rend des services d'urgence aux Marquisiens en les transportant vers l'hôpital local ou jusqu'à Papeete dans les cas les plus graves. Il transporte les sacs de courrier, et les jette à la volée dans les petites îles dépourvues d'aérodrome. Il lui arrive parfois de ramener aussi les internes du collège dans leur île natale lors des petites vacances. Autant de petits services qui prennent le relai des transports aléatoires en bateau d'une île à l'autre. Autant de services qui le font grandement apprécier de la population locale qui garde encore le souvenir de sa disponibilité et de sa générosité.


La préservation et la mise en valeur de "Jojo", l'avion de Jacques Brel s'imposaient. Plutôt que d'être posé au sol, l'avion est installé ingénieusement sur un piédestal comme s'il était encore en vol pour une dernière mission.

Autour, sur les parois du hangar, plusieurs panneaux où figurent des photos de l'artiste, des extraits de ses chansons, des citations. Rien que de très banal, si ce n'est qu'en parcourant l'exposition on entend les chansons de Brel. Elles passent sans interruption, diffusées dans un ordre aléatoire, les très anciennes qu'on avait oublié, les plus connues, les inédites. On les entend en fond sonore en parcourant l'exposition, on y prête de plus en plus attention, et l'on finit par les écouter religieusement.
 
L'Espace Jacques Brel. Rendez-vous avec l'émotion

Des anecdotes d'une autre époque remontent subitement à la surface, des bribes de vie ou le souvenir d'un récital reviennent en mémoire. Assis sur un banc sous une aile de l'avion, face au buste de Brel, pris par les mélodies ou happé par la force des paroles des chansons, je réalise 36 ans trop tard que le Grand Jacques n'aurait jamais dû partir… Il n'aurait jamais dû… Le regard s'embrume, les yeux s'humidifient… Ca remue !


Mais il faut bien partir ! Un peu sonnés, nous quittons silencieusement les lieux et lentement nous nous dirigeons vers la place du village où nous attend le bus, le "truck", qui doit nous emmener au restaurant. Ces caisses en bois à claire-voie montées sur des châssis de camion étaient encore il y a une dizaine d'années les seuls transports en commun de l'île de Tahiti. Les derniers survivants sont utilisés comme transports scolaires dans les petites îles. Exotique !


En toute fin d'après-midi, la manœuvre d'appareillage est encore plus compliquée que celle du matin puisque le bateau n'a pas de vitesse pour évoluer. Le capitaine joue avec l'ancre et les amarres pour faire décoller le bateau du quai. Comme ailleurs aux Marquises, il n'y a pas de service de remorquage. Le capitaine fait donc avec les moyens du bord : c'est une barge, normalement utilisée pour le déchargement du fret qui pousse la poupe du bateau pour qu'il puisse faire demi-tour sur place… Exotisme toujours, mais efficacité !
 
200 cv et une barge pour que l'Aranui fasse demi-tour
 
DANS LES PAS DE PAUL GAUGUIN
 
Bien avant Pont-Aven et la Polynésie, Paul Gauguin a séjourné en 1884 à Rouen, dans une petite impasse (qui porte maintenant son nom) située dans le quartier Jouvenet (autre peintre local du XVIIIème siècle).
 
Durant ce séjour rouennais de 10 mois où il côtoie Pissarro et d'autres impressionnistes, Gauguin a eu le temps de peindre une quarantaine de tableaux représentant différents quartiers de la ville.
 
N'ayant pas fait fortune à Rouen, Gauguin se rend ensuite à Pont-Aven de 1886 à 1889, puis retourne à Paris. Après bien des déconvenues, il se rend à Tahiti entre 1891 et 1901, puis aux Marquises où il compte trouver l'inspiration et l'apaisement. Il y meurt en 1903.
 
Et en fouinant un peu sur la toile, j'ai trouvé… celle-ci, qui représente une église située sur les hauteurs de l'agglomération rouennaise…
 
130 ans exactement séparent ces deux images
J'ai à peu près localisé le lieu où Paul Gauguin a dressé son chevalet, mais confronté aux progrès de l'urbanisation, je n'ai pas pu poser le pied de l'appareil photo au même endroit, ni retrouver le même cadrage vertical, ni respecter l'échelle (comparaison faite en toute modestie, bien sûr !).
 
Le premier qui trouve quelle église a été peinte sur ce tableau a gagné !

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