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LA BALADE DE L'OURS

JEUDI 03 SEPTEMBRE 2015 - Jour 11 - DETROIT DE BELLOT - BAIE DE CONNINGHAM et DEMI-TOUR - (Île du Prince de Galles -Nunavut)

Debout avant l'aube. A 04h50, le Soléal quitte le mouillage de Fort Ross pour emprunter aussitôt le détroit de Bellot, un étroit chenal d'environ 18 milles de longueur (34 km), qui sépare l'île Somerset au nord et la péninsule de Boothia au sud. Cette presqu'île est l'extrémité la plus septentrionale du continent américain à 72° N.
 
Vue du dépôt de la Cie de la Baie d'Hudson à Fort Ross,
juste avant l'entrée du détroit de Bellot
Ce passage n'a été découvert qu'en 1852 par le capitaine W. Kennedy, qui l'a baptisé du nom du jeune lieutenant de marine français qui l'accompagnait dans la recherche de John Franklin. Bellot aura ainsi eu de son vivant, l'honneur d'avoir un détroit à son nom (il disparaitra un an plus tard !).


Navigation dans le détroit de Bellot

 

Le détroit est bordé de collines bosselées très colorées où l'ocre domine. Au lever du soleil, certaines de ces roches se parent véritablement d'or et étincellent. Curieux !
Le détroit est le siège de forts courants dans les passages les plus resserrés, parfois moins de 700 m de large. Il se produit alors de violents tourbillons qui arrivent à modifier un court instant le cap du bateau, c'est dire leur puissance ! De nombreux oiseaux nous accompagnent, la plupart pêchent dans les remous, d'autres s'enfuient devant le bateau, c'est la première fois que nous en observons une telle concentration.
Le Soléal subit un courant favorable de 7 nœuds (13 km/h), augmentant encore l'impression de vitesse entre les berges rapprochées du chenal. Ainsi, dans ce chenal, le courant contribue pour moitié à la vitesse du bateau qui reste stable à 13/15 nœuds. Même si le tracé est quasi rectiligne, la vigilance sans faille règne à la passerelle. Tout le staff est présent, attentif aux cadrans, aux écrans radars, à la carte ou derrière les jumelles. Le paysage défile vite et en une heure trente, le Soléal parvient à l'extrémité du détroit de Bellot et débouche sur le détroit de Franklin.
 
Sortie du détroit de Bellot

 


06h30, vent nul et mer absolument plate. Dans le petit matin la mer et le ciel se confondent dans le même bleu. Dans cette région, les débuts de journée sont vraiment inédits ! Cap à l'ouest, le Soléal traverse confortablement le détroit de Franklin vers sa prochaine escale, la baie de Conningham sur l'île du Prince de Galles, où le bateau jette l'ancre.
Il est prévu un tour en Zodiac™ vers une lagune où des bélougas peuvent se rassembler. Malgré le réveil très matinal, il est trop tard pour franchir le seuil qui ferme cette lagune alors que la marée descend.
Le débarquement de notre groupe est prévu vers midi, donc nous vivons une matinée plutôt tranquille mise à profit pour la mise à jour des notes, le visionnage des vidéos ou bien la discussion avec d'autres passagers autour d'un café. Parce qu'il était délaissé en début de croisière, Nelly a pris en main la réalisation d'un grand puzzle assez ardu, représentant une œuvre du peintre autrichien Gustave Klimt. Au fur et à mesure de l'avancée du puzzle, Nelly a réuni autour d'elle un petit groupe de mordu(e)s qui selon leur envie viennent ajouter leur pièce à l'édifice… Tous en viendront à bout bien avant la fin du voyage.
12h10, notre tour arrive pour la balade en Zodiac™ dans le fond de la baie de Conningham. Pas de bélougas dans la lagune, le spectacle est ailleurs. Pour des raisons de sécurité et d'entraide au cas où, tous les canots se rassemblent vers le fond de la baie. Une ourse et deux jeunes sont en train de festoyer autour de la carcasse d'un bélouga malchanceux. (Le bélouga est un cétacé connu aussi sous le nom de baleine blanche à cause de la couleur de son cuir à l'âge adulte. Il a la taille d'un dauphin et ne vit qu'en Arctique dans des eaux peu profondes, telle la lagune de Conningham, … ce que les ours ont parfaitement bien compris !).

Battue à l'ours ? Non !
Face au danger aucun canot ne doit rester isolé
 

Baie de Conningham, gare à l'ours !
Les trois ours sont tellement occupés à leur repas qu'ils ne paraissent pas perturbés par le feu nourri de tous les photographes. Malgré les rafales simultanées, les ours sont toujours bien vivants. Ils passent d'une carcasse à l'autre et arrachent quelques morceaux de chair. Leur repas se fait sur le dos d'autres animaux tout aussi sympathiques, c'est plutôt cruel. La nature sait aussi être cruelle, ainsi va la vie animale…
Les carcasses de bélougas sont proprement nettoyées
Les ours vont et viennent calmement, toujours bien groupés. Superbe spectacle, que ces deux jeunes sous la protection de leur mère, on irait bien les caresser ! Quoique !

 
Tranquillement, ils se déplacent vers une étroite langue de terre qui descend en pente douce vers la baie… et vers nous qui ne sommes pas très éloignés de la berge ! Petit moment de fébrilité parmi les naturalistes qui sont aux commandes des Zodiac™ ! Les ours vont-ils se mettre à l'eau et nous rendre visite ! Pendant quelques secondes, on a pu le craindre ! En chemin, ils ont été distraits par quelques restes de viande à arracher d'une carcasse. Ils n'ont plus pensé à nous, les photographes ont ressorti les appareils !
13h30, retour à bord, et déjeuner au buffet du pont 6. Le safari arctique, ça donne faim !
14h00, appareillage et cap vers le nord en suivant le détroit de Peel avant de trouver la banquise demain matin.
L'après-midi aurait pu se dérouler calmement, mais en longeant la côte orientale de l'île du Prince de Galles, les naturalistes ont repéré un groupe de bélougas, bien vivants cette fois-ci, en train de remonter vers le nord en suivant le rivage de très près. Même en se déroutant, leur observation est difficile car trop lointaine et qui plus est en contre-jour. De temps à autre, un dos blanc émerge, crée des remous et c'est tout. Les ours, eux ont bien repéré les bélougas. Il y en a un qui suit le groupe depuis la rive pourtant accidentée. Un autre ours n'hésite pas à couper la route du Soléal, juste devant l'étrave, pour rejoindre et vraisemblablement poursuivre les bélougas. Nous n'avons pas su la suite.
Ce soir, nous dînons ainsi que deux autres couples au restaurant du pont 2 avec deux naturalistes. A notre table, il y a donc Jean-Pierre S., québécois spécialiste des cétacés et autres animaux polaires. Un personnage au verbe haut et intarissable dès qu'il s'agit de ses animaux préférés. Il y a également Nicolas T., tout en discrétion, plongeur et photographe en eaux glacées. Tous ces naturalistes sont des passionnés de leur sujet et aiment en parler autour de la table.
Coup de froid durant le repas ! Le Commandant nous informe par la radio du bord que le passage à travers la banquise vers laquelle nous nous dirigeons n'est plus possible. La situation des glaces a évolué défavorablement depuis hier. La route par la branche nord du Passage n'est plus praticable pour le Soléal… Avoir voulu, avoir pas pu ! Demi-tour immédiat ! Déception !
Il faut comprendre que la banquise est une "masse fluide" soumise aux vents, aux courants qui se conjuguent ou s'opposent pour rassembler ou fractionner la glace. Ce qui était vrai hier ne le sera plus demain. L'option était jouable hier, elle ne le sera plus demain.
Et si le Commandant avait envisagé cette option c'est que Raymond, notre pilote des glaces savait qu'elle était envisageable à la lecture des cartes régulièrement diffusées par le Service Canadien des Glaces (SCG). Lequel service était au courant de l'option choisie hier par le Soléal et qu'il ne s'y était pas opposé. La nature en a décidé autrement, et ici, il vaut mieux faire avec que contre !
La lecture de la carte des glaces de ce jour mentionne bien une concentration de glace entre 90 et 100% sur une bande entre les îles Bathurst et Prince de Galles. Malgré sa classification, le Soléal n'est pas en mesure de briser seul cette glace. Et le brise-glace canadien le plus proche est à quatre jours de mer. Donc demi-tour vers des eaux que nous savons libres !
 
Extrait d'une carte des glaces du SCG (éditée le 09/10/2015).
Le gros trait bleu sur la gauche indique l'endroit où s'était
accumulée la banquise le 03 Septembre 2015 
Les cartes des glaces, il faut être né canadien pour comprendre : il y a un code de couleur qui indique l'étendue des glaces, de blanc = eau libre à rouge = 90 à 100% de surface couverte. Jusque là, c'est simple ; c'est après que cela se complique. Chacune de ces zones de couleur est subdivisée et affectée d'une lettre qui renvoie à un "code de l'œuf" (c'est ainsi que cela s'appelle) sur le coté droit de la carte. Lequel "code de l'œuf" est subdivisé en lignes et en colonnes qui indiquent entre autre l'épaisseur, la densité, la nature, l'âge de la glace, etc….
Raymond notre pilote des glaces québécois, lui, connait tout cela par cœur ; moi, j'avoue ne pas avoir tout compris ! Raymond, rien qu'au bruit, est capable de donner l'âge d'un bloc de glace lorsqu'il heurte l'étrave. Klonnggk ! Trop fort !
Demain sera donc une grande journée de mer. Alors, détente ce soir au théâtre pour écouter un pianiste ukrainien et une violoniste russe que la musique a réunis pour interpréter de jolies mélodies.
21h30 à la passerelle, il fait déjà nuit. Le Soléal navigue tous projecteurs allumés pour localiser d'éventuels growlers qui auraient échappé à la sagacité des radars…
Aparté :
                
Se repérer dans l'extrême nord canadien, c'est compliqué ! La géographie n'y est pas facile car les terres sont morcelées à l'infini, séparées par une multitude de chenaux, de passages et de détroits qui s'imbriquent les uns dans les autres.
Comme les nomades Inuits n'ont sûrement pas pris le temps de baptiser tous ces territoires immenses et vierges, ce sont les aventuriers et les explorateurs qui se sont chargés de les nommer au fur et à mesure de leurs découvertes.
Et là, c'est à la fois très simple et très compliqué.
Très simple, parce que tous les lieux portent soit des noms issus de généreux mécènes qui finançaient les expéditions, soit des noms d'explorateurs qui se cooptaient entre eux.
Très compliqué, car si l'on n'est pas abonné de longue date à "Point de Vue - Images du Monde", il est absolument impossible de s'y retrouver entre tous les rois, les reines, les princes et autres associés de la famille royale britannique… qui ont donné leurs noms au moindre îlot de cette vaste zone.
Pour les explorateurs, il faut étudier toute l'histoire de la région.
Ca se complique encore davantage quand on sait que plusieurs lieux géographiques différents et éloignés peuvent porter le nom d'un même individu. Pour ne parler que du malheureux Franklin, son nom est associé à l'ancien district qu'était le Nord-Canada avant sa partition, mais aussi à un détroit au Nunavut, à une baie dans les Territoires du Nord-Ouest, à un cap que je ne sais plus localiser (à l'aide !), etc… Et il y a aussi une île Lady Franklin et un cap Lady Franklin sur l'île Bathurst, en l'honneur de son épouse…
Et comme le Nord Canada c'est grand, on peut multiplier les exemples…

3 commentaires:

  1. Encore une super journée !!

    Dommage que la couverture nuageuse cache pratiquement la banquise le 4/09 mais la veille, le ciel est dégagé http://www.arctic.io/explorer/8/2015-09-03/7-N73.54467-W94.37388 tu peux... naviguer dans le calendrier

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  2. Un safari arctique , c'est pas donné à tout le monde !!
    Impressionnant cette maman ours avec ses 2 petits !

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  3. Magnifique journée en effet, malgré la déception du soir, mais comme on nous a dit sur le Fram, dans ce genre d'expéditions, il faut être flexible! (pas trop difficile d'être flexible car souvent les plans B sont au moins aussi riches en émotion que les plans A... Je m'en vais donc lire la suite!).

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