DIMANCHE
13 SEPTEMBRE 2015 - Jour 21 - ILE DE PETITE DIOMEDE
(Alaska
- U.S.A.)
Après avoir
doublé hier le cap Lisburne, le Soléal a infléchi sa route vers le sud et, à
04h00 cette nuit, le bateau est repassé sous le Cercle Polaire Arctique,
marquant la fin de la navigation dans les hautes latitudes. C'est ainsi que le
Soléal pénètre dans le détroit de Béring.
Le détroit de
Béring !
Si l'on se
remémore les grands planisphères Armand Colin accrochés aux murs de l'école
primaire, le détroit de Béring, c'était loin, très très loin, tout en haut à
gauche du planisphère… Et encore plus à gauche, c'était le bout de la carte, le
bout du monde ! Eh bien ce matin, au bout du monde, nous y sommes et ça ne
laisse personne indifférent !
07h20, recouverte
d'épais nuages, la silhouette de l'île de Petite Diomède se dessine lentement
dans le petit jour qui tarde à se lever. Le temps est très gris, humide et
sombre. Peu après, en retrait, c'est la Grande Diomède qui apparait, elle aussi
sous les nuages. Lentement, le bout du monde commence à prendre forme. Pas gai
!
Le détroit de Béring et l'île de Petite Diomède |
Les îles Diomède, la Petite à droite, la Grande à gauche |
La Petite et la
Grande Diomède sont deux îles, deux sentinelles, deux forteresses posées juste
au milieu du détroit de Béring. Ces îles se situent à un double carrefour
géographique, entre deux continents, Amérique et Asie, et entre deux océans,
Arctique et Pacifique. Elles sont aussi à un carrefour géopolitique entre deux
blocs, U.S.A. et Russie. Et comme si cela ne suffisait pas, elles sont
également à un carrefour fictif puisqu'elles sont séparées par la ligne de
changement de date. Ca fait beaucoup pour le même endroit ! Et ce n'est pas sans influence sur ce que nous ressentons ce matin !
07h30, le Soléal
contourne la Petite Diomède par l'est et le sud avant d'emprunter le chenal qui
sépare les deux îles et mouille l'ancre face au village vers 08h00. Les mauvaises
conditions de luminosité dramatisent encore l'impression d'abandon de ces îles
perdues.
La pénombre de
l'aube, la configuration des lieux, l'austérité du paysage confèrent à cette zone
une atmosphère pesante et quelque peu angoissante. Même si ce n'est pas
flagrant, il s'en dégage une ambiance particulière, sinistre et inquiétante.
Cela est sans doute très subjectif, mais la région n'est pas neutre. Trois kilomètres
seulement séparent les deux îles. A droite, la Petite Diomède est américaine, à
gauche, la Grande Diomède est russe. Le Soléal s'est bien gardé de franchir la frontière
entre les deux pays.
C'est vrai, nous
sommes au bout du monde, au bout d'un monde ! Nous sommes arrivés aux confins du
monde occidental. La géographie est là, mais il y a aussi le poids de l'Histoire
qui influe sur ce que nous ressentons. Ainsi à quelques encablures du bateau, c'est
la Russie, un énorme pays inquiétant, une autre civilisation, d'autres méthodes…
Et plus étonnant encore, c'est un autre jour puisque la ligne de changement de
date se superpose avec la frontière.
Mais cet endroit,
pour le moins singulier, pourrait pourtant se prêter à quelques réflexions plus
ou moins loufoques !
En effet, depuis
Paris en nous déplaçant continuellement vers l'ouest, nous sommes arrivés aux
portes de l'Extrême-Orient… Depuis le pont du bateau, on voit l'Ouest à l'est
et l'Est à l'ouest, c'est-à-dire que le monde occidental se situe à l'est et
l'Orient à l'ouest. Les Etats-Unis et la Russie ont une frontière commune et sont
seulement distants de trois kilomètres… De plus, ici c'est aujourd'hui et
là-bas, c'est demain ! Tous les repères habituels sont chamboulés…
L'île et le village de Petite Diomède |
Depuis le pont
du Soléal, nous apercevons le village de Petite Diomède (100 habitants), accroché
au bas des pentes abruptes de l'île, avec la Russie comme vis-à-vis. C'est la
seule agglomération de cette île austère. De Grande Diomède, côté russe, nous
ne voyons et ne savons pas grand-chose… Les quelques Inuits qui y étaient
implantés en ont été chassés durant la Guerre Froide et remplacés par des
militaires. Les contacts et les échanges entre les populations des deux îles
ont depuis été perdus.
Conformément à l'usage,
les membres de la communauté sont invités à bord pour offrir un spectacle
folklorique aux passagers. Toujours un peu pareil, toujours un peu différent.
Ainsi, avons-nous eu droit à des chants psalmodiés accompagnés au tambour inuit
et des danses s'apparentant à des exhibitions gestuelles sans doute héritées
des anciennes pratiques chamaniques. Le tambour inuit est une simple peau
tendue sur un cadre circulaire. Ordinairement, il est en peau de caribou mais à
Diomède il est réalisé avec la paroi de l'estomac de morse. Les Inuits font
avec ce qu'ils ont…
A l'issue du
concert, nous rendons visite aux habitants. L'atterrissage des Zodiac™ sur la
côte est particulièrement mouvementé dans une zone de gros galets ronds, noirs
et glissants. Quatre marins philippins ne sont pas de trop pour stabiliser les
canots à cause du violent ressac qui complique le débarquement des passagers.
Nous parcourons
les sentiers et escaliers de Diomède guidés par l'un de ses habitants. Grâce à
la traduction simultanée d'Ombline, notre guide inuit nous montre ce qui est
indispensable à la survie des habitants : l'école surdimensionnée, le magasin,
la salle commune, la clinique qui fait aussi douche municipale et buanderie
collective, etc…
La topographie
du village est compliquée. Les maisons sont construites en bois sur de hauts
pilotis et sont serrées les unes contre les autres. On y accède par de longs escaliers
en bois. La majorité de ces habitations ne
semble guère en bon état. Les rues sont des chemins de terre ou d'étroits
platelages métalliques également sur pilotis et reliés entre eux par des
escaliers. Tout se fait à pied. C'est un village accroché à la pente, à moitié
suspendu dans le vide.
En parcourant le village |
Pas de confort
collectif, pas d'eau, pas d'égouts, juste l'électricité et les téléphones
portables, pas de ravitaillement régulier. On ressent la précarité dans la
façon de vivre, le dénuement, le système D… ! Ici, ce sont les Etats-Unis,
mais visiblement l'"American way of life" n'est pas encore arrivée au
bout de l'Alaska. La vie y est de plus en plus difficile à cause du recul de la
banquise qui éloigne les zones de chasse. Les Inuits doivent rapidement
s'adapter aux évolutions du climat pour survivre. Pourtant dans les années 90,
les autorités U.S. ont proposé aux villageois de s'installer tous frais payés
(y compris terrain et logement) sur le continent. Trop attachés à leur caillou,
ils ont voté… et unanimement refusé !
Nous arrivons
rapidement à l'extrémité du village. Nous revenons vers le rivage sous la pluie
battante. De nombreux habitants ont tenu à nous accompagner jusqu'aux Zodiac™
en continuant à discuter. Ils nous voient partir avec une pointe de regret, pour
eux notre visite a été trop courte. A quand le prochain bateau ?
Le bout du monde
est un véritable choc.
13h15,
appareillage sous la pluie et un ciel bas. Une heure plus tard, le Soléal
contourne à vitesse réduite le rocher isolé de Fairway Rock où nichent une
multitude d'oiseaux. Malgré les efforts du Commandant pour se rapprocher, le
paquebot n'est pas le moyen idéal pour l'observation aviaire. Trop loin !
18h30, mouillage
dans la baie de Teller pour faire le plein de carburant du bateau. Rendez-vous
est donné dans la baie avec une grosse barge qui se met à couple. Le
ravitaillement est conséquent et doit durer plusieurs heures.
Cette pause
obligatoire dans la navigation est mise à profit par le Commandant pour
organiser le cocktail de l'Au-Revoir au théâtre du pont 4. Cela a été pour lui
l'occasion de récapituler avec beaucoup d'humour les moments les plus
intéressants ou les plus forts de cette croisière, de présenter les membres
d'équipage qui ont participé à sa réussite et bien sûr de remercier les
passagers pour leur participation aux activités du bord.
Ce cocktail
était aussi la mise en bouche du dîner de gala du Commandant au restaurant du
pont 2. Une fois de plus, le Chef-cuisinier nous a montré de quoi il était
capable…
Une journée hors du monde et hors du temps... On touche à tant de symboles ici, que tu décris parfaitement bien.
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