Après avoir quitté Le Havre le 15 Août 1908, J-B Charcot et le Pourquoi Pas ? entament une très longue navigation et arrivent le 1er Décembre à Punta Arenas, tout au sud du Chili. A cette époque, tous les navires empruntant le détroit de Magellan font systématiquement escale dans ce port pour avitailler en vivres frais et en matériel, pour réparer d'éventuelles avaries et surtout pour "charbonner" avant de poursuivre la route. Le remplissage de la soute à charbon sera le souci permanent de J-B Charcot durant ce long voyage.
Après deux semaines d'escale, J-B Charcot et le Pourquoi Pas ? empruntent le Passage de Drake et mettent le cap vers l'île Deception, au large de la Péninsule Antarctique. Endroit stratégique de la région, Deception est un immense volcan dont la caldera communique avec la mer par un étroit goulet, constituant un mouillage bien abrité. Des Norvégiens y ont installé une importante station baleinière et toute la logistique qui va avec [1]. Cet arrêt technique est l'occasion pour J-B Charcot d'entretenir le bateau, de glaner les dernières informations nautiques, d'échanger du courrier ou de soigner un ouvrier baleinier gravement blessé, pendant que les scientifiques du bord procèdent déjà à de nombreux sondages et relevés hydrographiques aux alentours.
Après avoir refait le plein de charbon, le Pourquoi Pas ? quitte la station de Deception le jour de Noël 1908. A peine remis en route, J-B Charcot poursuit la campagne de dragages de sédiments et complète les relevés cartographiques ébauchés lors de la précédente expédition de 1904, avant de faire une courte escale à Port Lockroy.
Au début de l'été austral, le Pourquoi Pas ? gagne l'île Booth et mouille quelques jours dans l'abri précaire qu'est l'anse de Port Charcot, déjà visitée en 1904 avec le navire "Le Français". Poursuivant vers le sud, le Pourquoi Pas ? s'amarre le 3 janvier 1909 à Port Circoncision sur l'île Petermann, à quelques encablures de la Péninsule Antarctique. Aux yeux de J-B Charcot, cette anse bien protégée pourrait convenir pour un futur hivernage en toute sécurité, hors de la pression destructrice des glaces.
Le 12 janvier 1909, le Pourquoi Pas ? appareille de Port Circoncision, fait cap vers le sud et franchit le Cercle Polaire avant d'arriver aux abords de la Terre d'Adelaïde. Au-delà, c'est l'inconnu, tout est à découvrir. J-B Charcot entame alors une exploration prudente de la longue côte occidentale d'Adelaïde tout en poursuivant sondages et relevés cartographiques.
Arrivé à la mi-janvier tout au sud de la Terre d'Adelaïde, J-B Charcot découvre un vaste golfe qu'il nomme Baie Marguerite en l'honneur de son épouse. De même, il baptise une île du nom de Jenny (prénom de la femme du second-capitaine, Maurice Bongrain). Ainsi, la hiérarchie du bord est également respectée jusque dans la toponymie des lieux !
J-B Charcot et le Pourquoi Pas ? naviguent plusieurs jours dans le nord de la Baie Marguerite et aux abords de l'île Jenny. L'équipage multiplie toutes sortes d'observations à force de sondages, de relevés de côtes, de recueil d'échantillons, de croquis… A l'issue de plusieurs explorations à terre, J-B Charcot comprend que la Terre d'Adelaïde est bien une île séparée de la Péninsule Antarctique par un étroit passage, qui sera baptisé ultérieurement "The Gullet" ("Le Gosier"). Chaque point remarquable de la côte est répertorié, cartographié, dessiné, photographié. La topographie de la Péninsule Antarctique se précise ! Beaucoup de noms de ces nouvelles découvertes sont ainsi baptisés de noms français, soit en hommage aux mécènes qui ont soutenu l'expédition, soit à des personnalités politiques ou scientifiques, ou encore à des lieux chers à J-B Charcot.
Fin janvier, après avoir louvoyé entre les glaces pour explorer et hydrographier une grande partie de la Baie Marguerite, J-B Charcot n'a pas trouvé d'abri convenable pour mettre son équipe et son bateau en totale sécurité. Il quitte l'île Jenny et repart vers le nord tout en poursuivant ses observations et finalement, revient jeter l'ancre le 9 février 1909 à Port Circoncision, sur l'île Petermann, pour abriter le Pourquoi Pas ? et préparer le futur camp d'hivernage.
Plan du site d'hivernage de Port Circoncision sur l'île Petermann - Extrait du "Journal de la Deuxième Expédition au Pôle Sud" rédigé par J-B Charcot - (Source gallica.bnf.fr / BnF) |
Le Pourquoi Pas ? subit également les assauts des glaces ou des icebergs qui tentent de pénétrer dans l'abri de Port-Circoncision malgré les câbles en acier tendus entre les rives. Les marées et la houle mettent à mal les amarres qu'il faut surveiller en permanence et malgré toutes ces précautions, il arrive que le bateau tosse sur la roche.
L'arrivée du printemps en novembre 1909 marque la fin de l'hivernage du Pourquoi Pas ?. J-B Charcot et son équipage quittent enfin l'abri de l'île Petermann et naviguent vers le nord-est, vers l'île Deception dans le but de remettre le bateau en état, refaire du charbon et avitailler auprès des stations baleinières norvégiennes installées là.
Le Pourquoi Pas ? au mouillage de Port Circoncision sur l'île Petermann - Extrait du "Journal de la Deuxième Expédition au Pôle Sud" rédigé par J-B Charcot - (Source gallica.bnf.fr / BnF) |
Le 23 décembre 1909, le Pourquoi Pas ? quitte Deception après quatre semaines d'escale et navigue vers le nord-est entre la péninsule Antarctique et l'archipel des Shetland du Sud pour réaliser de nouveaux prélèvements et observations scientifiques.
A la toute fin de l'année 1909, Charcot et son équipe font de nouveau route vers le sud. Les conditions de navigation sont difficiles, la glace, la neige et la brume les accompagnent en permanence. Le 11 janvier 1910, J-B Charcot, juché dans le nid-de-pie aperçoit dans une éclaircie une côte totalement inconnue. Il est le tout premier à l'observer mais ne peut s'en approcher davantage à cause de l'étendue de la banquise. Il la nomme en l'honneur de son père, Terre de Charcot (On comprendra ultérieurement que cette Terre est en réalité isolée de la Péninsule, et sera ainsi rebaptisée Île Charcot).
Le Pourquoi Pas ? poursuit vers l'ouest et navigue le 14 janvier 1910 dans les parages de l'île Pierre 1er, que personne n'a revue depuis sa découverte par l'amiral russe Bellinghausen en janvier 1821. Là encore, une météo difficile rend l'approche de l'île impossible.
Inlassablement, malgré des conditions de navigation difficiles, J-B Charcot persiste dans sa recherche de terres nouvelles qu'il sent à sa portée. Mais au terme d'une progression laborieuse bien au-delà du cercle polaire, l'exploration s'achève entre les 69° et 70° de latitude sud et par 124° de longitude ouest. La mission est pleinement réussie, J-B Charcot peut envisager le retour vers le sud du Chili.
Extrait de la "Description des Côtes et Banquises - Instructions Nautiques" rédigée par J-B Charcot - (Source : Internet Archive) |
Le 1er février 1910, l'équipage est enfin en vue du Chili, à l'extrémité occidentale du détroit de Magellan. Le Pourquoi Pas ? s'abrite dans une baie afin que les hommes puissent enfin se reposer et récupérer des épreuves subies durant leur longue navigation à travers le sud du Pacifique.
Le 11 février, c'est le retour et accueil à Punta Arenas. Puis, c'est la longue route vers la France après des escales à Montevideo pour entretien du bateau, Rio de Janeiro, Pernambouc (devenue Recife, au nord-ouest du Brésil), les Açores, Guernesey et enfin Le Havre, qui était le point de départ de cette mission.
Après avoir navigué dans les pires endroits du monde, J-B Charcot et le Pourquoi Pas ? dans un contraste saisissant, remontent paisiblement la Seine et entrent le 5 juin 1910 dans le port de Rouen où l'accueil triomphal des Normands et de toutes les sommités politiques, intellectuelles et scientifiques françaises est à la mesure de l'exploit qu'ils viennent d'accomplir. Jean-Baptiste Charcot est entré dans la légende.
Le Pourquoi Pas ? revient en France avec les cales remplies d'un nombre considérable de cartes, de rapports, d'analyses et d'échantillons qui sont remis au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris et à l'Institut Océanographique de Monaco. Le résultat est colossal… si bien qu'en 2021, il semblerait que l'on n'ait pas encore totalement exploité la totalité des pièces et autres documents ramenés en 1910 par J-B Charcot !
[1] La dernière éruption de ce volcan en 1966 mettra à mal les ouvrages de la station baleinière et contraindra les Norvégiens à cesser définitivement leurs activités sur ce site, laissé depuis à l'abandon.
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